Eyes Closed (Ruby)

Ah, les temps étaient durs pour tout le monde. Tout le corps de Ruby était endolori par les exercices supplémentaires qu’elle faisait pour rester en forme physiquement, maintenant qu’elle appartenait à la brigade spéciale H. Ses yeux la brûlaient d.e certaines nuits qu’elle passait à tailler les pointes de plumes Weasley, pour ne pas faiblir, pour n’alerter personne sur la cadence de fabrication qui ralentissait. Et parfois, elle était simplement épuisée. Le feu sacré qui brûlait en elle, qui la faisait avancer se montrait parfois paresseux, étouffé par toute l’énergie qu’elle dépensait, sans cesse. A se battre. A chercher. A tuer. A réfléchir. A tailler. Et à apparaître en société. Nul doute que c’était cette partie qui lui demandait parfois le plus d’efforts et dépensait ses précieuses réserves. Mais elle n’avait pas le choix. C’était le pari qu’elle avait fait, des années auparavant et elle avait passé tellement longtemps à porter ce masque qu’il lui collait à la peau. Il n’était pas temps de baisser les bras, même si rien n’avait réellement payé pour l’instant. La couverture était parfaite et il fallait l’entretenir. C’était ce qui l’avait décidée à sortir, ce soir-là, alors qu’elle aurait adoré juste un whisky Pur Feu en tressant les cheveux de Layla. On n’avait pas toujours ce qu’on voulait dans la vie, et elle était bien placée pour le savoir. Elle avait donc enfilé un pantalon épousant scandaleusement la moindre de ses courbes, un haut sombre assorti, s’était drapée d’une cape et était sortie. Personne ne l’attendait et les choses n’en seraient peut-être que plus intéressantes … ou pas.

Lorsqu’elle arriva au bar qu’elle avait visé, il n‘y avait personne en vue. Entendre par là « personne de réellement intéressant ». Depuis des années, elle tenait un journal de toutes les personnalités du monde sorcier, de leur degré de dangerosité, de toutes les rumeurs, de tous les points d’approche, qu’elle gardait maintenant au QG de l’Ordre, qui lui semblait être l’endroit le plus sécurisé pour cela. Si un jour cela venait à être découvert … mais ils les croyaient morts, tous autant qu’ils étaient. Alors qu’ils festoient ! Et comme il n’y avait rien à faire, elle se contenterait de boire dans son coin en se rengorgeant de leur ignorance. Un jour ils tomberaient, tous … Et ce fut donc avec l’intention avouée de s’entamer bien rapidement que la demoiselle demanda un Boutefeu, cocktail à base de whisky Pur Feu et autres liqueurs parfumées qui lui disait bien. Le premier fut gratuit, elle savait exactement quand faire bouger ses cheveux du revers de la main pour que l’Amortentia atteigne le serveur. Et elle buvait depuis quelques temps quand il surgit, à sa grande surprise. Rien ne lui échappait pourtant d’ordinaire, mais quand elle avait décidé de ne plus s’occuper de rien, elle pouvait se faire surprendre. Se morigénant, elle l’accueillit avec un sourire charmeur.

Toi ici, quelle agréable surprise. Chercherais-tu à fuir certains revenants ? C’était tout lui. Lysandre Rosier. Peut-être et sans doute ce qu’elle faisait de plus dangereux. Qui aurait cru qu’ils en seraient là un jour quand il avait refusé de la laisser s’approcher, à Poudlard ? Je te retourne le compliment. Et pour ta gouverne, je ne fuis devant rien, ni personne. Léger clin d’œil qui chasse la question, le sujet glissant sur lequel il voulait l’entraîner. Ce tango endiablé finira mal, ils en sont conscients tous les deux. Ils savent ce que l’autre attend, qu’un seul faux pas sera fatal et qu’ils dansent sur une corde raide. Mais ils semblent tous les deux apprécier l’exercice et le partenaire de jeu. Que dire pour la défense de Ruby ? Le Rosier était réellement charmant. Et avait initié le contact. Comment dire non à une telle opportunité. Et le danger ne rendait les choses que plus excitantes, plus grisantes. Il était son type, et elle était visiblement le sien. Pourquoi fallait-il que les choses soient si compliquées ? Peut-être n’auraient-elles pas eu la même saveur. Dans tous les cas, elle partait ce soir avec un désavantage : elle n’était pas au sommet de sa forme et, selon toute vraisemblance, avait un verre d’avance sur lui.

La place est libre ? Il n’attendit pas sa réponse et elle ne broncha pas alors qu’il commandait la suite. Ce ne fut que lorsque le serveur partit, non sans un regard déçu qu’elle s’autorisa à rire : Je crois que quelqu’un espérait qu’elle le reste toute la soirée. Comme si ce serveur avait eu la moindre chance. Ruby n’avait pas besoin de ramasser qui que ce soit en sortie de bar. Le sexe était … un art et une arme. Sauf avec une personne, qui n’était pas cet homme. Echec et mat. Jouant avec le contenu de son verre pour ne pas avoir à l’ingurgiter de suite, histoire de le laisser rattraper son retard, elle laissa ses yeux glisser sur Lys’. Il aurait du être interdit aux mauvais garçons d’être aussi séduisants. Mais n’était-ce pas là tout l’intérêt : Et je sens que je ne vais pas être la seule à briser des cœurs ce soir. Le serveur revint rapidement et d’une main preste, Ruby le retint par le coude. Lui lançant son regard de braise signature, elle lui glissa : Soyez un ange et ramenez un deuxième whisky Pur Feu pour Monsieur, il en aura rapidement besoin. Le serveur bafouilla quelque chose avant de partir, qui arracha un nouveau rire à la jeune femme : Celles et ceux qui prétendent qu’il faut être Vélane pour déclencher une émeute n’ont décidément rien compris. S’emparant de son verre, elle le leva vers Lysandre : A cette soirée. A...un moyen créatif d’échapper aux revenants ? S’il voulait jouer … ils étaient deux à pouvoir le faire : Peut-être est-ce ce que toi, tu cherchais en venant ici ? Haussement de sourcils innocent sur insolence diabolique. La partie était enclenchée.

Pourquoi avait-il fallu qu’ils naissent dans ces familles, à cette époque, dans ces conditions ? Alors que le jeune homme s’installait confortablement et raillait le serveur, Ruby le détaillait sans vergogne, laissant ses yeux courir sur la mise sobre et pourtant redoutablement efficace du Rosier. Rosier. Son patronyme restait à l’écart de leurs conversations, comme celui de la jeune femme, afin d’éviter tout éclat. Leur lien était une aberration aux yeux de beaucoup, ce qui ne dérangeait pas la Weasley, se gorgeant de la moindre rumeur. Parlez, oubliez ce que je peux représenter. Parfois, elle en venait à se demander s’il aurait pu y avoir un eux différent de ce jeu de dupes, dans lequel aucun n’était suffisamment aveugle ou stupide pour croire qu’il s’agissait de quoi que ce soit d’autre que de l’intérêt. Peut-être. Sans doute. Cela n’avait pas la moindre importance, en réalité. Ruby avait accepté bien tôt que les choses étaient ce qu’elles étaient, sans possible alternative. Alors elle se contentait de s’enivrer de la présence de Lysandre quand elle le pouvait, quand l’occasion se présentait, tout en gardant la tête la plus froide possible. Ce qui était bien loin d’être une mince affaire, même lorsque, comme elle, vous jouiez de vos charmes depuis bien longtemps, quand l’adversaire était aussi doué et aussi charmant. Faits de la même étoffe, leur regard se fit similaire alors qu’il se portait sur le barman. Il n’était pas de leur monde, pas à la hauteur, c’était une certitude. Il faut bien un perdant, commenta-t-elle sobrement, en voyant le barman gratifier d’un sourire charmeur une demoiselle un peu plus loin … un niveau ou douze au-dessus d’elle.

Et elle n’avait pas hâte de savoir lequel d’eux deux le serait, nota-t-elle mentalement alors qu’ils trinquaient. Un nouveau rire lui échappa, alors qu’il l’accusait d’intentions peu louables. Se retournant vers lui, ses yeux trouvèrent ceux de Lysandre, se faisant braises : Je ne me souviens pas avoir eu à recourir à ce genre de bassesse avec toi. Un sourire de prédatrice passa brièvement sur ses lèvres. Il serait mentir que de prétendre qu’elle ne s’amusait pas. La fatigue avait disparu, pour l’instant. Il n’y avait que le plaisir de se retrouver en sa présence et de repartir pour une joute des plus sensuelles. Et dangereuses. Alors qu’elle prenait une gorgée de whisky, son toast résonna quelques instants dans son esprit. Délicieuse, certes. Mais létale avant tout. Il n’avait pas prévu de la voir, de toute évidence. Peut-être serait-ce la soirée où elle parviendrait à lui arracher une bribe … un début de quelque chose. N’osant aller jusqu’à imaginer qu’il puisse être la clef le menant à un Horcruxe, elle savait que toute information était bonne à prendre. Il semblait réellement tenir au sujet des revenants, la relançant dessus. Il n’y avait pas loin à réfléchir pour tenter de le provoquer, pour lui faire commettre une erreur. Après tout, sa propre sœur en était un. Crois-tu vraiment que je sois le genre de personne à fuir devant des spectres du passé ?

Mais la famille était hors de portée quand ils se retrouvaient, il n’était pas question de l’évoquer. Les éclats de voix qu’échangeaient Maebh et Ruby n’étaient un secret pour personne, alors sûrement pas pour Lysandre. Il faudrait qu’elle tente sa chance avec Phaedre, sur le sujet. Cette poupée était ridiculement faible, la Weasley la trouvait d’un pathétique achevé et se ferait un plaisir de tenter de lui retourner le cerveau pour qu’elle finisse par craquer et lui donne … quelque chose. Mais pas question de s’en prendre pour l’instant à Lysandre. Il était hors de question de perdre cette connexion entre eux par une maladresse ne donnant sans doute rien. Parce que cela lui ferait perdre un accès potentiel à de l’information. Rien d’autre. Evidemment. Jouant avec son verre, elle fut secouée d’un léger rire alors qu’il ramenait le barman dans la conversation, avant de la complimenter. Vous savez très bien que la flatterie ne vous mènera nulle part, cher monsieur. Par contre, se pencher comme ça sur elle. Fermant les yeux une fraction de seconde, elle savoura la sensation de ses lèvres si proches de sa peau. Il savait y faire, l’animal. La chaleur dispensée par le whisky progressait en elle, rejointe par une autre alors qu’il initiait finalement un contact physique. Son esprit se focalisa sur la dose d’Amortentia qu’il venait de recevoir dans le processus, ses cheveux de feu étant le parfait appât et captant merveilleusement son parfum. Et je ne doute pas que tu regarderais de loin ces fous s’entretuer. Sachant pertinemment quels artifices elle utilisait. Pourquoi elle s’en servait, ou au moins le soupçonnant. Et attendant qu’elle se lasse et revienne trouver un duelliste à sa mesure. Ses yeux trouvèrent les siens alors qu’elle se rapprochait, posant la main juste à coté de la cuisse du jeune homme, consciente qu’il devait en sentir la chaleur sans qu’elle ne l’ait seulement effleuré … pour l’instant.

Se forçant à ne pas tiquer alors qu’il relançait le sujet qui serait sans doute le fil rouge de la soirée, elle choisit de pirouetter pour mieux le provoquer par la suite, sans rompre le contact visuel. Qui sait … peut-être pour appâter un réel prédateur, jaloux de l’attention portée à un rat, qui rendrait cette soirée d’ennui éminemment plus intéressante ? Ses sourcils esquissèrent un mouvement provoquant alors qu’elle rattrapait son verre de sa main droite, l’autre toujours en place. Le laisser venir, après tout, cette partie était presque aussi savoureuse de ce qui pouvait les attendre si cette soirée se terminait comme les autres. Une brève pensée pour les divers bleus qu’elle devait arborer la traversa, qu’elle rejeta en bloc. Ils n’en étaient pas là et il y avait énormément d’explications plausibles à concocter d’ici à ce que cela devienne un problème. Une blague foireuse de Jonah, par exemple. Elle s’en sortirait. Faisant tourner le contenu de son verre auquel elle fit mine de s’intéresser un instant, elle glissa : Je n’ai cure des revenants. Mensonge. Même si elle était relativement hors de danger, étant donné qu’elle ne tuait pas en personne, elle tremblait que quelqu’un ne se soit relevé qui puisse identifier un membre de sa fratrie comme son assassin. Et donner vie aux rumeurs. Même si une personne en particulier pourrait se révéler problématique pour elle… Chassant ces pensées d’un haussement d’épaules, elle reporta son attention sur Lysandre : Mais pourquoi parle-t-on de macchabées ? Est-ce ainsi que tu séduis les demoiselles, habituellement ? Pirouette. Pause. Et le tango pouvait reprendre de plus belle.