suffering is good for the soul (gorgoroth)

Le sourire gangréné par une douleur carabinée. Un masque d’ordinaire imperturbable, fissuré dans ses grandes largeurs. Phaedre souffre d’un mal récurrent. Trop, ces derniers temps. Les drogues ne font plus effet, ses pensées s’agitent, son esprit divague. Elle sait, Phaedre, que ses sombres tourments reviennent la hanter. Elle les ignore, un temps. Quand l’affliction se veut trop brutale, enfin, elle agit. De ses souvenirs ne restent que des bribes, des impressions savamment distillées. Elle se remémore des vies qui n’ont jamais été. Elle l’ignore, bien sûr. Persuadée que son seul mal est d’être trop imprégnée de regrets. Ignorant qu’en vérité, c’est la culpabilité qui prend son envol. Phaedre, victime consentante de sa propre dissection.

Elle serre une ceinture de soie autour de sa taille de guêpe. Glisse une dernière mèche derrière son oreille. Chaque détail minutieusement soigné, la fille Rosier ne laisse rien passer. Donner le change, masquer ses traits tirés par la fatigue. Entretenir cette fausseté qu’elle aime tant. Qu’importe que Gorgoroth lise en elle comme dans un livre ouvert. Phaedre est une femme de son rang comme les autres. Paraître, avant toute autre chose. Superficialité qui ne l’émeut guère. Gorgoroth voit au delà, toujours. Distingue ce qu’elle est de celle qu’elle prétend être. Peut-être n’est ce là que l’effet de son don. Ou bien est-ce cette proximité qui les lie l’un à l’autre. Cette tendresse qui fait fit de l’amour charnel, de cette corruption du désir, pour ne laisser qu’une pudeur intacte. Qu’elle savoure, Phaedre, de n’être point vu comme un objet de convoitise. Là, un corps à dénuder, ici, un trophée à exhiber. Il n’y a que le Lestrange pour sublimer Phaedre. Pour lui, ni fard ni mystère, le mensonge n'est louable que s'il est suivi d'un sourire taquin.

Et Phaedre d’apprécier sa compagnie comme un opium qu’on ne saurait refuser. D’un pas, elle délaisse son reflet, d’un autre, s’efface du manoir doré. Quelques foulées plus tard, elle s'éclipse, pour réapparaître à des kilomètres. Face à elle, la demeure Lestrange, froide et singulière, promesse des lourds secrets qui s'y trament. Ils sont tombés, les Lestrange. Laissés à leur sinistre rôle de paria, oubliés de leurs amis d'hier. Phaedre, elle, n'a de pouvoir qu'entre ses cuisses, héritière née pour enfanter. Sa parole n'intéresse personne, sinon quelques rares initiés. La savoir ici ne désole pas le tout venant, alors elle s'invite bien volontiers quand vient l'heure du thé. Ses doigts s’étirent sur le heurtoir, qu’elle soulève et frappe trois fois. A l’intérieur, le silence. Elle patiente, s’impatiente, Phaedre n’est pas douée de tranquillité. Quand la porte s’ouvre, ses lippes s’étirent en un sourire charmant. Son mal, pourtant, n'a en rien diminué. Il est là, indicible mais tenace. La raison de sa présence ici ne se justifie pas que pour la qualité de la conversation. Gorgoroth, puissant remède aux maux qui la consument. Phaedre, comme une enfant, vient auprès de la seule compagnie qui rend ses peurs légères.

Monarque trônant au-dessus de son royaume vicié. Devant la fenêtre, Hadès contemple son éden où ne règne nulle déesse, se complaît dans les restes de son veuvage. Les épaules encore vêtues de couleurs ébènes, il déambule dans le duodénum de son enfer, parade encore dans ses vêtements sombres en espérant que son père ne cède à la compréhension que son deuil perdure malgré les deux années qui se sont écoulées depuis le suicide de son épouse, martyr dont les lèvres ont goûté aux charme de la belladona - belle vénéneuse poussant dans une de leurs serres, nourricière des soupçons qui ont été crachés sur sa joue. « Cesse donc de jouer au veuf éploré, tu épouseras la jeune Rosier dès que son père nous fera signe. » Jure son père en balayant la poudre jetée à ses yeux épuisés du revers de la main, les joues creusées peu à peu par la honte qui gangrène le nom de la famille depuis leur échec face aux rebelles.

Martyr lâché à sa géhenne. Il retourne à sa chambre en imaginant la jeune femme qui se tiendra bientôt à ses côtés. Demoiselle jetée en pâture à son besoin de procréer, poussée au déshonneur que lui donnera son désintérêt des ébats mensongers. Secoué par un haut-le-cœur, il chasse la vision de la dernière née Rosier de ses pensées, palais vicié où elle ploie sous ses assauts répétés, purge sa psyché de vin de sureau et de tabac jusqu’à ce qu’il ne s’abandonne à un éphémère pâmoison. Déchu, Hadès délaisse son rôle de monarque, se dénude en faisant tomber le masque qui habille son véritable faciès. Nocher étant semblable à son épave, charon décharné, il repose, appelle les mânes emprisonnées dans les canevas séculaires, ces ancêtres dont il envie le repos éternel. « Maître ? » La paupière se soulève puis se referme au déni de la présence. Infâme créature à son chevet réclamant son attention pour une raison dont il ne se préoccupe guère. « Va-t-en, il marmonne en passant une main dans ses boucles brunes, je refuse de subir ta présence une seconde de plus, disparais de ma vue. » Insistance de la bête. « Mais Monsieur... Miss Rosier a demandé à vous voir. » La lèvre supérieure se relève à la vue de la peau malmenée, où trônent les sévices de ses sœurs sur la pauvre bête. Tentation de la cruauté à la bouche baisant le bâtonnet cancérigène, rêverie passagère pendant laquelle il écrase le mégot sur le derme, ajoute sa marque au-dessus des autres. « Va-t-en. »

Charon à nouveau dissimulé derrière son masque, Hadès abandonne son canapé, retourne au manoir où règne le paraître. Déambulant dans les dédales, il savoure la quiétude des vestiges de son veuvage avant que ce dernier ne succombe sous les épines du rosier. « Phaedre ? » Étonnement pointant à la vue de la demoiselle. Un sourire étire ses lèvres, amer, à la pensée que son annulaire gauche sera à nouveau décoré par un anneau que lui aura passé sa sœur en échange du sien. Il se penche, dépose un baiser sur la joue devenue rose sous les bises automnales. « Qu’est-ce qui t’amènes jusqu’ici ? » Errance dans les profondeurs de la panse familiale, bras dessus, bras dessous, il guide la rose au sein des corridors sombres, ignore leurs murmures, langues vénéneuses cherchant à souiller les apparences. Tendresse qu’il témoigne à l’égard de la demoiselle, du pouce allant et venant sur le dos de la main qui tient la sienne malgré son silence gêné.