new rules (cassius)

Ses talons claquent contre le marbre qui pave les couloirs. Impérieuse, dangereuse, Theodora pousse une à une les portes qui mènent au département de la propagande magique. A son passage, les employés baissent la tête, ou saluent poliment. Elle ne s'interrompt pour aucun, et se contente de garder le cap et le menton haut. Personne, de toute façon, ne cherche réellement à l'interpeller. Avec une telle haine au visage, serait fou celui qui oserait.

24H plus tôt - domicile des Avery

« Tu as quoi ?... »

Les phalanges se crispent autour du verre de scotch. Peu à peu, les traits se déforment sous la fureur, et le cristal explose dans sa paume. Le regard menace, mais son mari ne se laisse pas intimider. Un rictus moqueur vient même agrémenter le dédain qu'il affiche déjà. Connard.

« -Tu as bien compris, Theodora. Et ne t'avise plus de me faire un tel affront, ou je ferai bien pire.
-C'est une menace ? Demande-t-elle d'une froideur pétrifiante. »

Elle se rapproche d'un pas sinistre et empoigne le col. Les doigts s'enroulent dans le tissu, resserrent l'étau autour de la gorge. Lui déglutit, malgré le pseudo courage qu'il affiche effrontément. A le sonder de la sorte, on dirait qu'elle machine mille-et-un stratagèmes pour le conduire à la mort. Et pourtant, il ne se démonte pas. Qu'a-t-il à perdre, vraiment ? Personne ne l'attend, dans son pays : ses parents sont morts l'an passé, et il ne lui reste qu'un frère aîné qui se soucie bien peu d'un cadet sans nom... Par Merlin, même ses enfants ne sont pas les siens.

« -La prochaine fois, tâche au moins d'être plus consciencieuse sur le choix de tes amants.
-Cesse donc l'insolence, Arvel, ça ne te va pas au teint. Moque-t-elle.
-Tout comme l'humiliation, figure-toi ! Tu crois que je ne t'ai pas vue folâtrer avec cet imbécile de Rosier ?! Par Morgane ! Ton propre cousin, Theodora ! Tu me répugnes. Je n'élèverai pas tes sales bâtards ! Qu'il vienne les chercher, ou je les jetterai moi-même à la rue ! »

Oh, elle ne croyait pas, non, elle s'en fichait juste. Ou plutôt pensait-elle que ça lui était égal. C'était sans doute le cas, jusqu'à ce que leurs enfants grandissent bruns. Bruns comme lui, cet imbécile de Rosier. Il les a vus quitter la salle des fêtes ensemble, au mariage. Il les as vus, ensuite, au Ministère. Il aurait été prêt à passer l'éponge sur beaucoup de choses, mais pas sur ça, pas sur ces sales bâtards, pas sur ces chuchotements qui se moquent de lui, dans les couloirs du département de la justice magique.

« -Je ne- folâtre pas. Ce n'est pas le propos. Parce que tu crois que tu as un droit de regard ? Tu vas m'écouter attentivement, Arvel... Si par malheur, tu t'avises encore de jouer contre moi, je me ferai un plaisir de t'apprendre la définition du mot ennemi. Et crois-moi, tu ne veux pas la découvrir. Tu penses sincèrement que ta vie est difficile ? Que je manque de respect à ton sale petit égo de mâle blessé ? Pauvre, pauvre, Arvel. Tu n'as encore rien vu. »

Présent

Sans s'annoncer, Theodora pénètre dans le bureau de Cassius et referme plus ou moins brutalement la porte derrière elle. Les bras croisés sur sa poitrine, le regard sévère, elle essaye de prendre la température et de jauger les humeurs de son ancien amant. De son cousin, comme le dit si bien Arvel. La beuglante de son cher mari doit être arrivée ce matin. Rien de compromettant, seulement des insultes et quelque chose comme "viens chercher le paquet". La vraie révélation est venue dans une deuxième enveloppe. Même Arvel n'est pas assez stupide pour scander l'adultère et l'existence des enfants illégitimes de Theodora Avery en plein milieu du département de la propagande magique.

« Il faut qu'on parle. »

Le timbre est froid, très détaché. Il ne reste plus que des résidus à peine perceptibles de la sympathie qu'elle a habituellement pour Cassius. Mais ce sont toujours des résidus. C'est qu'elle se retient, malgré tout, d'exploser à la hâte. Le Rosier est quelqu'un de raisonnable. Ils trouveront un terrain d'entente. Ils trouveront des solutions. Comme, par exemple, "je n'en veux pas, de toute façon". Oui, ça serait une réponse acceptable.

« Je comptais te le dire. »

Non. Bien sûr que non.
Allons, Theo. Il doit savoir que c'est faux. Il la connaît assez bien.

Dès les premiers mots décochés, Theodora comprend qu'il n'y aura rien de tel que "je n'en veux pas, de toute façon". Plus qu'un banal mécontentement, l'hostilité qui sinue le long des cordes vocales annonce le réquisitoire. Nous y voila. Tu savais. Evidemment, qu'elle savait. Il n'y a pas un jour qui se passe sans qu'elle s'effare un peu plus de leur ressemblance avec Cassius. D'instinct, elle lève les yeux au ciel et retourne ensuite à crucifier la figure de son amant.

« -Je ne- te dois rien.
-Non, Theodora, on ne va pas parler. Je vais parler et tu vas écouter. »

Il la coupe d'une autorité qu'elle ne lui connaissait guère dans leur intimité. Grave erreur. Les dents grincent les unes contre les autres. Si elle peine à contenir tous les relents de son courroux, ils ont tout le loisir de macérer dans le discours du Rosier. Celui qu'elle ne voulait surtout, surtout pas entendre.
Les bras toujours croisés contre sa poitrine pour s'empêcher de frapper quoi que ce soit, Thedora tique au mot cousine. C'est mignon. On dirait qu'il essaye d'en faire une insulte. Si la situation n'était pas si critique, le visage se serait sans doute permis un rictus moqueur. A l'heure qu'il est, tous les sang-purs sont probablement, à quelques degrés près, cousins. Pas de quoi en déféquer le contenu d'une morale puritaine que ni lui, ni elle n'applique. Sale hypocrite.

De longues secondes de silence s'étirent jusqu'à l'agonie. Drapée d'un mépris farouche et d'une œillade dangereuse, Thedora crache son désaccord muet. De l'autre côté du bureau, elle mime les gestes de Cassius. Les paumes se posent sur le bureau, et le buste se penche. Les visages ne sont plus distancés que par une poignée de centimètres.

« C'est toi qui vas m'écouter, maintenant. »

Le timbre exsude le despotisme murmuré. L'humeur s'assombrit de quelques teintes et les traits menacent de déflagrer en un millier de tessons de rage. Elle ne le laissera pas marcher sur ses plates-bandes.

« Qu'on soit clairs, Audrey et Ezra sont avant tout des Avery. Il est hors de question que tu t'imposes dans nos vies. »

Cette sale fierté familiale lui bouffe les entrailles et force l'égo égratigné à vouloir étouffer l'élan de rébellion qui empoisonne Cassius. Si il ne veut pas essuyer les sept portes de l'enfer, il ferait mieux de réapprendre où est sa place. Et vite. Car elle n'a ni la patience de gérer ses états d'âme, ni celle de s'encombrer d'un deuxième père pour ses enfants. Elle a déjà assez de problèmes avec ce bon à rien d'Arvel.

« Arvel est et restera le père des jumeaux, au même titre que je suis leur mère. Surtout qu'elle est leur mère. Qu'il le veuille ou non. Que tu le veuilles ou non. Ça ne change rien. Tu n'as aucun droit de regard sur eux. Et tu ne les verras que si, et seulement si j'y consens. Qu'est-ce que tu as cru ? Que me tringler contre un mur t'autoriserait à exiger quoi que ce soit ? »

Le sexe est un besoin futile que Theodora assouvit souvent en inadéquation totale aux sentiments ou aux devoirs. C'est que son amour, en dehors de celui qu'elle a pour sa famille, sa proche famille, n'est que pour une seule personne. Cassius n'est pas cette personne. Mais Cassius était là. Cassius était beau, et divertissant. Il suffisait.

« D'ailleurs, notre lien de parenté n'a pas eu l'air de te déranger beaucoup, à ce moment-là. »

Elle crache son venin entre les rangées de dents serrées et les babines retroussées.

« Vaguement, hein ? »

Theodora lève un sourcil narquois. Si elle est tout à fait honnête, la présence de Cassius lui a toujours été... Non pas réconfortante, mais au moins égayante. C'est surtout qu'il aura su lui durer dans le temps, à elle et son sale caractère. Elle s'étonne, d'ailleurs, qu'il déploie une telle hargne à la rencontre d'enfants anonymes. Les siens, oui ; depuis quoi ? Deux heures ? Les jumeaux sont turbulents, instables. Dangereux. Bien plus que leurs aînés. Ils ne sont pas de ceux qu'on aime, sauf lorsqu'on dispose de l'amour d'un parent.

Elle recule à son tour, se pose à moitié assise sur le rebord du bureau. La tête penche sur le côté, l'index tapote contre la cuisse. Le cristal toise la figure masculine de haut, alors que le silence distend les secondes en minutes. Il y en a deux ou trois, comme ça, où elle paraît considérer l'idée qu'ils puissent rencontrer Cassius. Que Cassius puissent les rencontrer. Quelques heures. De temps à autres. Tel qu'il disait. Elle a accordé plus à Henry, fut une époque. Pourquoi pas à lui ? Son propre sang. Un Rosier. Elle compulse les options ; les opportunités, aussi. L'ongle du pouce rejoint machinalement les dents. C'est un tic nerveux. Car elle ne sait pas. Elle ne sait pas si Cassius les aimera comme ils méritent d'être aimés. Elle ne sait pas l'influence qu'il aura sur eux. Elle ne sait pas  non plus où se situe ses limites. Loin, elle assume. Elle les a toujours entraperçues dans une sorte de flou, qu'on doit, elle estime, à la promiscuité de leurs relations.

« D'accord. »

D'accord. Alors pourquoi ça prend davantage la forme d'un échafaud que d'un rameau d'olivier ? Le sourire dévoile les canines. Il est évident, maintenant, que le contrat possède quelques clauses frauduleuses. On n'attend donc plus que le fameux mais. Et il ne tarde pas à fleurir aux lèvres.

« Mais il faut qu'on fasse quelque chose, avant ça. Que tu fasses quelque chose pour moi, en réalité. Reprécise-t-elle. »

Au contact de Theodora, tout paraît être un piège et un cadeau à la fois. Ceux qui, comme Cassius, la connaissent plus personnellement, savent, néanmoins, qu'il n'est pas tant question de piège ou de cadeau, mais de la versatilité que l'un ou l'autre a de muter en son extrême opposé. L'ennemi d'aujourd'hui peut devenir l'ami de demain. Vice-versa. Sa loyauté a de ça qu'elle est ajustable à son bon vouloir. Il n'y a qu'une seule chose qui mérite l'immuabilité : la famille. Et on ne parle pas de vulgaires pièces rapportées. On parle du sang. Du lignage.

« Vois-tu, Arvel devient de plus en plus... Imprévisible. Erratique. »

Ça laisse un aperçu plutôt précis de ce qu'elle espère de Cassius. Pourtant, elle ne formule pas de vœu distinct pour l'instant. Elle lève un index à hauteur du visage pour qu'on ne l'interrompt pas dans son discours.

« Je ne sais pas ce qu'il t'a raconté dans sa jolie lettre d'amour, des inepties sur elle, à n'en pas douter, mais il devait forcément y avoir un passage qui menaçait d'exposer la bâtardise des jumeaux. »

Arvel est un homme stupide, sans envergure. Il n'est même pas bon à sortir en société. Pas parce qu'il n'est pas beau (oh, il est extrêmement beau, et extrêmement vaniteux à ce sujet d'ailleurs), mais parce qu'il est pourvu d'une éloquence qui n'excède pas celle d'une huître. L'index reste levé.

« Je pense que cette menace doit être considérée. Et gérée en conséquence. Dit-elle d'un ton qui frôle l'anecdotique (ça l'est, pour quelqu'un qui a une traînée de maris morts derrière elle). Malheureusement, j'ai des problèmes plus urgents à régler, en ce moment. Henry. Et il se trouve qu'Arvel a un penchant tout particulier pour les putains de votre... Maison de passe. Cabaret. »

Tout le monde (Theodora) le sait, et tout le monde s'en moque. Tant qu'on lui fiche la paix et qu'on ne menace pas sa précieuse descendance. Son empire. Elle n'a peut-être pas formulé explicitement débarrasse-toi de lui, mais c'est tout comme. La paume levée retombe le long de sa cuisse.

« Sa disparition rendrait service à tout le monde. »

Le consentement aux termes (au seul et unique terme, à vrai dire) de leur accord lui fend les lèvres d'un sourire cannibale. Si les suspicions énoncées la déçoivent, elle ne le montre pas, ni n'en est spécialement étonnée. Car il y a une chose que Cassius Rosier et Theodora Avery, ensemble, font mieux que les autres : compartimenter. Ils l'ont compris. Business is business. Soi avant le reste du monde. Les liens immuables de la famille sont, pour elle, les seuls à outrepasser cet individualisme borné. C'est bien pour cette raison qu'avant les jumeaux, on ne percevait pas l'ombre d'une jalousie ou d'une défiance (pas plus que ce qu'elle offre à l'habitude), entre eux. Il ne lui reste, de toute façon, aucun amour à dispenser pour quiconque. Ses enfants l'échinent assez. Mulciber aussi.

« -Allons, Cassius...
-Tu es intouchable. Je ne le suis pas. »

Theodora maquille son fiel en miel. Dans la configuration actuelle, elle n'escompte pas un quelconque cadeau de la part du Rosier. C'est peut-être pour ça que l'injonction suivante la fait à peine sourciller. Elle se redresse, son verre de whisky à la main.

« Non. »

Elle répond sobrement avant d’engranger une lampée d'alcool et de reposer le cristal d'un geste absolu. Son visage est peinturé de ce sourire caractéristique, celui qui annonce son appétit pour la guerre et sa résolution à la remporter. Un serment inviolable, quelle idée... Il faudrait alors inclure un troisième parti dans la confidence. Et la Avery n'a, avec ses secrets (surtout ce secret-ci), confiance en personne.

« Et je ne reviendrai pas sur ma décision. »

Elle rajoute en contournant la chaise qui l'accueillait. Le regard abandonne le regard. Tout dans son attitude donne à croire qu'elle est sur le départ. Elle pourrait. Elle en a même le droit. Le devoir, pour son égo. C'est que malgré son ascendant évident sur la situation, elle a déjà consenti à céder beaucoup de terrain à Cassius. Elle n'y laissera plus rien. Ce sont les termes. Et ils sont à prendre en l'état. Ni plus, ni moins. Peut-être que Theodora finira par le trahir, oui. Les alliances et les mésalliances constituent un mécanisme qu'elle se plaît à souiller au bon gré du vent qui tourne. Sa parole ne vaut rien. Pourtant, en toute objectivité, elle n'envisage aucune situation où elle gagnerait à diminuer Cassius Rosier. En premier lieu, il est, lui aussi, un peu de sa famille. Surtout, en second lieu, elle préfère se débarrasser des problèmes de façon plus... Permanente. Et on n'a guère plus à se soucier de sa réputation, quand on bouffe les pissenlits par la racine.

« Je crois que tu oublies ici une chose essentielle, Cassius. Je suis en position de force. Tu feras ou non ce que je commande. Et tu en assumeras toutes les conséquences. »

Les choses sont expliquées très factuellement. Le visage ne s'est pas assombri d'une teinte et la voix n'a pas pris un seul éclat. Elle estime avoir assez donné. Se déplacer jusqu'ici pour prendre la peine d'en discuter était déjà un signe de bonne volonté en soi. Par respect et par amitié. Autant qu'elle est capable d'en dispenser.

« Malheureusement, je ne suis pas ma mère, et contrairement à ce que tu sembles penser, je suis loin d'être intouchable. La bâtardise d'Audrey et d'Ezra rendue publique ébranlerait forcément ma réputation. Tout le monde est faillible. Il n'y a qu'à regarder ce qui est arrivé aux Lestrange. Mais tu as raison sur un point : de nous deux, c'est toi le plus perméable. Tu sais aussi bien que moi que ce scandale t'affectera plus qu'il ne m'affectera moi. Sans compter que nos enfants n'auront plus grand avenir... Légal, j'entends. »

Car oui, sans doute que Cassius pourrait les élever dans l'ombre des Rosier, à patauger dans les commerces illégaux et la putasserie du cabaret. Et puis quoi ? Rien, sinon des moqueries et un avenir barré. Theodora détesterait ça. Viscéralement. Mais, sur le moment, pas autant que d'avoir à plier encore devant Cassius.