YOU FOUND ME (MAEBH)

Le retour de Maebh s’est passé dans le brouillard, des tréfonds du voile à sa chambre au manoir familial. Oreste a déjà décidé à laquelle il annoncerait publiquement son retour à la vie (si tant est qu’on puisse y apposer ce terme). Le pied-de-nez se fera dans un mois jour pour jour. Dernier cadeau qu’il fait à une fille qu’il ne sait même plus comment regarder, trente et uns jours offerts pour « reprendre en main ses émotions ». Car comment pourrait il pousser un automate sur le devant de la scène, Maebh n’a plus du passé que le nom et le visage. Vidée de toute son essence par un trop long voyage, son visage semble parfois creusé de milliers de cauchemars. Il y a peu de gens que Maebh désire gracier en exclusivité de la nouvelle de son retour, peu de personnes dont le souvenir est resté intouché par la mort. Elle a fait de ses pieds et de ses mains pour avoir des nouvelles d’Adrastos, a fait exploser la moitié des vases du manoir à chaque refus. Il reste cependant un deuxième visage imprimé sur son coeur : Magdalena Avery. Magda qui a si longtemps été l’un de ses piliers, Magda dont elle ne saurait prendre l’indifférence. Le sol de sa chambre est recouvert de lettres jamais envoyées, roulées en boule et envoyées dans un coin. Il reste trop peu du coeur de Maebh pour qu’elle ne prenne le risque de le voir brisé une nouvelle fois.

Il faut plusieurs semaines à la Rosier pour rassembler assez de courage et de détermination que pour se glisser hors des murs du manoir. Le monde n’a pas tant changé que ça en cinq ans. Les rues sont toujours les mêmes, l’air de mai est toujours aussi moite. Le monde n’a pas tant changé que ça et pourtant tout est à présent étranger. La nuit tombe doucement et les ombres donnent du relief à ses chimères. Il lui reste deux jours. Deux jours pour feindre la vie. Deux nuits pour oublier ses cauchemars. Alors, elle reste plantée un peu en retrait du Chemin de Traverse, observant de loin le manège du Londres sorcier vaquant à ses occupations quotidiennes. Et puis parmi la foule, sa silhouette. Et puis, ses cheveux blonds. Maebh aurait pu dessiner Magdalena Avery les yeux fermés, de son sourire arrogant à ses yeux bleus. C’est plus d’une décennie de souvenirs qui fait trembler son coeur alors que la revenante enfonce les doigts dans les poches de sa cape, calquant sans même y réfléchir ses pas dans ceux de la sorcière. Elle ne sait pas, Maebh, quand elle aura le courage de se manifester. Elles s’étaient promises tant de choses, tant de serments enfantins que la Rosier a l’impression d’avoir brisé. Elle lui avait juré ne jamais partir. Elles se croyaient éternelles, les deux gamines arrogantes. Elles pensaient avoir toute la vie devant elles : le destin s’est chargé d’arracher celle de Maebh pour leur donner tort.

« Si vous comptez me tuer dans cette ruelle, faîtes vite j’ai un rendez-vous qui m’attend. » Sont-elles à ce point similaires qu’il leur faut mourir avec les mêmes mots entre les lèvres ? « Allez on se dépêche mon petit, j'ai pas toute la soirée. » Et Maebh de se sentir pour la première fois en si longtemps. Quelques secondes insouciantes viennent lui donner le courage de faire un pas hors de l’ombre. « J’ai déjà entendu ça quelque part. » Murmure t’elle plus pour elle même que pour la douce Magdalena. Son capuchon glisse sur ses cheveux noirs de jais, dévoilant son visage préservé par la mort. Si tout le reste a changé, ses traits sont restés exactement les mêmes qu’il y a cinq ans. « Tu as quelques minutes avant ton rendez-vous ? » Risque t’elle entre ses lèvres grenades. Là, au fond, de ce corps qui ne vit que par habitude, Maebh peut sentir son coeur battre à nouveau, doucement, fragile. L’ironie du sort n’échappe pas à la sorcière : il faut qu’elle retrouve une partie de son âme dans le même genre de lieu où elle est morte. Qu’importe pourvu que l’Avery esquisse ne serait-ce qu'un sourire en sa direction.

Il ne faut que quelques secondes pour que Maebh ne se mette à douter : et si Magdalena se contentait de faire demi tour ? La perspective de voir l’Avery s’éloigner sans même jeter un coup d’oeil en arrière est glaçante et, l’espace d’un instant, Maebh manque de se changer en pierre. Immobile, jusqu’à son souffle bloqué quelque part au creux de sa poitrine, la sorcière attend sa sentence comme un condamné devant le tribunal. « Et vous êtes la plus médiocre interprétation de ma bien aimée Rosier, puisse son âme repose en paix. » Maebh grimace, un trait de contrariété se creusant entre ses sourcils. La mort l’a t’elle tant changée que même sa meilleure amie peine à la reconnaître ? A t’elle vraiment tant perdu de sa superbe ? La commissure de ses lèvres se tord légèrement, comme toujours lorsque les choses ne se déroulaient pas exactement comme elle l’avait prévu. Le fantôme est une exacte copie de la Maebh connue par Magda : de ses yeux marrons à ses pommettes creuses, de ses expressions à sa façon si particulière de froncer les sourcils. Si imposture il y a, l’artiste est un faiseur de miracles. Maebh sourit, regarde ailleurs quelques secondes avant de reposer ses billes marron sur le visage de l’Avery. L’indignation de Magda a tout ça de réconfortant qu’elle semble sincère.

Magda reprend la parole et Maebh ne peut empêcher ses lèvres d’esquisser encore et encore les contours d’un sourire : après toutes ces années, voir Magda défendre son souvenir avec autant de ferveur que si elle était morte hier est un baume appliqué directement par les plaies causées par l’indifférence du monde. « Les gens de votre espèce ne méritent qu’une chose… »  La Rosier lève légèrement les paumes, un éclat joueur au fond de ses mers vides. Maebh et Magda ont toujours fait preuve du même dédain face au danger : c’est, paraît-il, l’apanage des arrogantes. « Je serais très vexée si tu me forçais à revenir d’entre les morts une deuxième fois. » Risque t’elle du bout des lèvres, ses mains toujours enfoncées au fond des poches de sa cape.

La Rosier risque un pas vers Magda, s’approche sans même s’en rendre compte. « Je suis désolée Magda - des nuages passent sur son visage et semblent s’y attarder alors que ses traits se froncent quelques instants - je voulais t’envoyer une lettre mais mes parents se sont opposés à ce que j’ébruite la nouvelle, le temps que mon père puisse décider comment gérer la situation. » Ses mots sont enveloppés de rancoeur. A un tel point que c’en est presque entêtant : ça éclate à la figure et c’est immanquable. Et il y a autant de vérité que de non-dit au fond des mots de Maebh : une aigreur qu’elle est incapable de cacher aux yeux perçants de Magdalena, une foi ébranlée en ce père qu’elle a toujours porté par delà les nuages. Son retour semble pour le moment se résumer à ça pour les siens : un mauvais souvenir, un problème dont il faut limiter les dégâts et les répercussions. Entre miracle et malédiction, Maebh s’est à présent transformée en funambule. Ses lèvres se crispent alors qu’elle fait un nouveau pas vers elle. Là aussi est le lot des filles bien nées : tout n’est qu’écran de fumée, apparences dictées par le bon vouloir du patriarche. Le sang pur vient avec un prix à payer.

Ses lèvres se crispent alors qu’elle fait un nouveau pas vers elle. Il y a trop de choses que la Rosier aimerait pouvoir lui dire. Ses lèvres suivent le chemin de ses idées, risquent un semblant de sourire alors qu’une solution s’impose à elle. « Demande moi quelque chose. » elle penche légèrement la tête sur le côté, curieuse. « Quelque chose dont je suis la seule à connaître la réponse. »

L’amusement de Maebh est teinté d’agacement. Entre Adrastos qui refuse toujours de la rencontrer et Magdalena qui s’entête à ne pas la reconnaître, Maebh se laisse doucement glisser entre ls griffes de la lassitude. Et si l’aborder était une erreur ? Elle aurait peut être du attendre, rester au manoir en attendant le moment où son père la paraderait de nouveau dans les soirées de la haute société ? Probablement l’Avery y aurait-elle plus facilement cru si la Rosier était apparue pendue au bras d’Oreste. Ce n’est pas que Maebh ne peut pas comprendre les réserves de sa meilleure amie. Quelques secondes à s’imaginer à sa place suffisent à faire entrevoir au fantôme les dilemmes qui doivent prendre place derrière les yeux bleus de Magdalena. L’empathie n’a cependant pourtant jamais empêché Maebh d’être un monstre d’égoïsme et aujourd’hui ne fait pas exception : les choses ne se passent pas comme elle les avait imaginées et ça la démange. « Quel est le surnom que je donne au bâtard de ma famille ? » Maebh lève les yeux au ciel, fronce légèrement les sourcils en signe de désapprobation. « Ta famille n’a pas de bâtard. Elle lève les yeux au ciel, plisse les lèvres. Et tu sais que je déteste que tu parles d’Adrastos comme ça. » Voilà bien une chose qui n’a pas changé. Même s’il le mérite. Même si il refuse ne serait-ce que de s’entretenir avec elle. Même si leurs souvenirs sont autour de poignards enfoncés au fond de son coeur.

« Le 13 mars 1980, j’ai rédigé la toute première liste d'éventuels prétendants de sang-pur, quel était le cinquième nom inscrit dessus ? » La langue de Maebh claque contre son palais alors qu’elle assène du tac au tac, laissant s’écouler à peine le temps d’une respiration. « Bien essayé, il n’y avait pas de cinquième nom. Il y en avait tout juste deux si mes souvenirs sont exacts. » Deux chevaliers pour une seule princesse, deux futurs différents. Le nombre réduit de prétendants s’expliquait facilement : entre les exigences (justifiées, Magdalena méritait le meilleur de la société sorcière) de la matriarche et la volonté des femmes Avery de garder leur nom de famille, il était difficile de leur trouver des prétendants convenables. « On a même longuement rigolé à l’idée que tu finisses par épouser mon frère ou l’un de mes cousins (des perspectives enfantines) » Ca s’entend à son ton qui se crispe que Maebh se lasse de leurs petits jeux.

L’arrogante n’a pas l’habitude de se voir refuser ses désirs, trop habituée à ce que ses envies n’aient force de loi. Que le monde a changé en cinq ans.

« Tu me crois maintenant ? » Elle force un sourire encourageant sur ses lèvres livides alors que son coeur bat à tout rompre contre ses tempes. « Ou tu as d’autres questions à me poser ? » Le silence retombe et le fantôme ne peut pas s’empêcher de peser ses options les unes après les autres. Maintenant qu’elles sont face à face, Maebh refuse d’abandonner. Elles ne quitteront pas cette ruelle tant qu’elles ne sont pas réparées, tant que Magda ne l’aura pas vue. « C’est vraiment moi, Magda. » Souffle t’elle dans un murmure, autant pour l’Avery que pour elle-même (comme si elle devait également se convaincre du miracle). « Je sais que ça ne doit pas être facile à admettre concède t’elle du bout des lèvres alors que ses yeux s’accrochent aux siens. Ca a été difficile pour ma famille, Adrastos ne veut même pas me voir elle ne peut empêcher quelque chose de se briser au fond de sa voix Ce n’est pas vraiment le retour glorieux que j’aurais aimé mais passons là dessus » Tranche t’elle dans un éclat de rire amer. « Mais tu m'as manquée Mag. Vraiment. »

Maebh la fixe sans l’ombre d’un sourire : encore une fois, la revenante se trouve face aux blessures que sa mort a causées. La Rosier ne s’est toujours pas habituée au nuage de cendres qui semble la suivre partout : ci et là restent des souvenirs de son ancienne vie. Parler d’Adrastos, même brièvement, suffit à lui enfoncer une dague entre les côtes. Il fait partie de ces sujets dont Maebh ne veut pas parler. Les quelques semaines passées depuis son retour d’entre les morts ont suffit à briser toutes ses illusions : elle qui pensait leur amour éternel se retrouve avec un goût amer à l’arrière de la langue. Par respect pour son coeur qui continue pourtant de battre pour lui, Maebh ne peut s’empêcher de le défendre. Comme elle l’a toujours fait, éternelle pont entre les deux cousins. Adolescente, la Rosier a longtemps espéré que leur querelle ne finisse par se tasser. Le temps lui a donné tort et Maebh a fini par trouver son équilibre entre deux parties de son coeur incapables de coexister.

L’espoir qui commence à percer au fond des yeux de Magda est aussi agréable que douloureux. C’est comme l’éclat d’une vieille tempête : ça la secoue au plus profond d’elle-même comme un coup de poignard. Il y a de la douleur au fond de cet espoir et c’est elle, surtout, qui brise le coeur de Maebh. Du monde, il fallait que ça soit Magdalena qui ne cesse de pleurer sa mort. La perspective est d’une douceur amère. Maebh le sait (et déjà elle se fustige d’avoir osé douter), elles sont liées par delà la mort.

Quelque chose change au fond des gestes de Magda. Pas grand chose, mais assez pour qu’un sourire ne vienne étirer les lippes du fantôme : à sa façon, Maebh voit bien que l’Avery baisse la garde. « Il doit probablement se terrer de honte sous les jupons de sa pauvre mère. » La Rosier ne peut retenir un léger, cristallisé sur son palais râpeux. Le fantôme n’a plus la foi de défendre les absents. Si la mort a noirci son coeur, la vie s’est chargée d’enrober sa langue d’amertume lorsqu’il s’agit d’Adrastos. Maebh lève les yeux au ciel et siffle « Dans les jupons de sa Shafiq, probablement. » Narcisse n’a pas manqué de la mettre au courant à peine le pied posé au manoir. Les nouvelles fiançailles d’Adrastos sont une épée de Damocles suspendue au dessus de son retour parmi les vivants, menaçant à tout moment de briser le présent.

Un frisson parcourt sa colonne alors que le mot mort glisse entre les lippes de Magda, meurt entre ses dents. Maebh se contente d’hocher le menton lentement. « J’ai cru comprendre. Mère m’a fait un résumé mais je suis sûre qu’elle a laissé plein de choses de côté. » Elle lui en a dit assez pour détruire ses rêves de retrouvailles faites de larmes et de baisers. La Rosier n’a de romantique que ses sentiments pour le Lestrange : l’adolescente d’hier pleure la fin de ses idéaux. Non, petite, votre amour n’est pas éternel.

« C’est vraiment toi ? » Maebh s’avance, se saisit de sa paume. Sous les doigts de Magda, ceux de Maebh. Aussi chauds qu’ils ne l’étaient il y a cinq ans, faits de peau et d’os. La Rosier se contente de ce toucher comme on se satisfait d’une bonne réponse : si son corps est chaud et si son coeur bat de nouveau, comment ne pourrait-elle pas être en vie ? « Si c’est le cas, pourquoi est-ce que le coupable court toujours ? » Les sourcils de Maebh se froncent, visiblement contrariée. « Parce qu’il se trouve que mon retour parmi les vivants est aussi inutile que ma mort à ce sujet : je ne parviens pas à me souvenir de quoi que ce soit. » La Rosier suinte l’exaspération. Pas envers Magda mais envers l’absence de coupable : Maebh a besoin de quelqu’un à blâmer. Elle a besoin de quelqu’un à punir, elle a besoin que quelqu’un paie pour lui avoir tout pris. Pendant qu’elle rassemble les cendres du passé, quelqu’un, quelque part, profite d’un futur volé. « Père m’a posé des centaines de question sur ce soir là une pause, comme pour apaiser sa respiration qui s’est bloquée quelque part entre son estomac et sa gorge Mais je n’ai rien vu et rien entendu. Je suppose que le lâche a du attaquer par derrière. » Maebh hausse les épaules, feint l’indifférence par fierté.

« Ne le sois pas. » Tranche Maebh avec un sourire. De tout ses proches, Magdalena est peut être bien la seule à n’avoir aucune raison d’être désolée. La Rosier est de plus en plus à l’aise maintenant qu’elle est certaine que Magdalena ne compte pas faire demi-tour en courant. Maebh respire un peu plus facilement, comme si un poids avait été enlevé de ses côtes. Oh, il reste des dizaines - des centaines - de fantômes au fond de ses yeux sombres. Maebh n’est plus exactement celle qu’elle était cinq ans auparavant. Reste que discuter avec Magda réveille aussi bien des vieux réflexes que son coeur endormi. Retrouver sa meilleure amie insuffle un peu de vie sur les joues du fantôme et son ton est déjà plus joueur lorsqu’elle reprend la parole. « Il faudra que tu me racontes tout ce qu’il s’est passé dans la vie de Magdalena Avery en mon absence. » Son sourire s’étire. « J’insiste. » Maebh tente de chasser ses démons, du moins pour quelques instants, lorsqu'elle les balaie d'un geste de la main. « Pour ce qui est du reste ça n'a pas d'importance. » C'est un mensonge qu'elle corrige presqu'instantanément. « Pas pour l'instant du moins. » Il sera toujours temps pour elle, pour elles, de se pencher sur la question plus tard.

Maebh hoche le menton, le regard soudain plus noir. La Rosier est en colère : pas contre Magda, jamais, mais contre ses propres souvenirs. Le fantôme aimerait pouvoir se souvenir, en avoir vu ou entendu assez que pour pouvoir pointer le doigt vers un coupable. Un lâche, c’est tout ce qu’il est aux yeux de Maebh. Trop lâche que pour l’affronter de face. La revenante a si soif de vengeance que la tête lui en tourne presque et Maebh sait, déjà, qu’elle ne pourra jamais abandonner l’idée de voir sa mort vengée. Elle a trop perdu, la mort lui a arraché trop de choses que pour la laisser impunie une minute de plus. « Un lâche oui. Je suis sûre que ce minable n’aurait pas pu me battre dans un combat en face à face. » Maebh hausse les épaules et laisse les mots couler. La Rosier est arrogante, certes, mais elle n’en a pas pour le moins raison : avant sa mort, Maebh était une sorcière d’un grand talent. Douée, puissante, pour son jeune âge.
Pas comme depuis son retour d’entre les morts.

« Depuis début avril. » Avoue Maebh dans une moitié de grimace. Son retour date d’il y a plus d’un mois et la Rosier regrette de ne pouvoir retrouver sa meilleure amie que maintenant. Mais les habitudes des sangs-purs ont cela d’increvable qu’elles placent les apparences par dessus tout. Oreste a préféré garder le retour de sa benjamine secret quelque temps, le temps sûrement de sentir la direction dans lequel tourne le vent : les revenants sont-ils là pour rester sur le long terme où sont-ils condamnés à retourner d’où ils viennent ? Un mois plus tard, le patriarche semble enfin s’être décidé sur une réponse. « Je suppose que père voulait s’assurer que j’étais réellement de retour pour de bon avant d’annoncer officiellement mon retour. Je suppose qu’après un mois il est enfin arrivé à la conclusion que je ne vais pas disparaître d’une minute à l’autre. » Maebh sourit avant de reprendre la parole. « Je crois qu’il a prévu de le faire bientôt, à la prochaine grande soirée je suppose. On ne change pas les bonnes habitudes. »

Le coeur de Maebh se sert alors que ses doigts se referment encore un peu plus autour de ceux de Magdalena. La Rosier ne peut empêcher son coeur de se serrer de regret : maintenant qu’elle est face à elle, Maebh aurait aimé braver Oreste plus tôt. Magdalena mérite ses confessions plus que quiconque. Mais la vie continue de s’échapper d’entre les doigts de Maebh : elle comprend les choses trop tard, vit au ralenti comme si une partie d’elle était restée derrière le voile. La Rosier fait autant d’erreurs que de son vivant mais n’a plus l’aplomb de les ignorer. « La voix du monde sorcier… Je n’en suis pas plus étonnée que ça - Maebh sourit, hoche le menton. Magdalena a toujours été douée avec les mots, bien plus qu’elle - J’ai hâte d’en entendre le récit en tout cas »

Les aveux de Maebh sont murmurés à demi-mots, bien consciente du poids de ses révélations. Elle est revenu depuis avril et n’a rien dit. Un mois presque de silence, un mois de mort supplémentaire. Le reproche de Magdalena ne vient que confirmer ses doutes et Maebh s’éloigne l’espace d’un instant. Contrairement à sa meilleure amie, la Rosier n’a jamais su s’exprimer avec justesse. Maebh est femme d’action plus que de mots et toutes les justifications qu’elle voudrait lui donner semblent soudain désuètes. Comment lui expliquer que ce dernier mois n’est que brouillard ? Comment lui expliquer qu’elle a passé ce mois dans le noir ? Un mois s’est peut être écoulé mais, pour le fantôme, tout semble aussi frais que si elle était revenue hier : la douleur déchirante de constater à quel point le monde a changé, la peur paralysante de n’être de retour que pour quelques instants. De toutes ses raisons c’est celle là la moins égoïste : Maebh a souvent pensé contacter Magdalena et s’est toujours rétractée par peur de lui faire plus de mal que de bien. D’autres raisons sont moins altruistes mais tout aussi lourdes dans la balance : Maebh a changé. Tellement changé qu’elle a eu peur d’avoir trop changé. De s’être tant éloignée de celle qu’elle était alors que Magdalena la verrait à l’image de ses cauchemars : une coquille vide, une poupée au teint cireux qui n’a de Maebh Rosier que l’apparence et non la grandeur. Se confronter à Magdalena, c’est faire face à ses souvenirs et Maebh en a jusque là manqué le courage.

La revenante se racle la gorge, hésite alors qu’elle semble enfin trouver quelques mots. Probablement ses excuses sont-elles maladroites (comment pourraient-elles ne pas l’être) mais elles ont au moins le mérite d’être pétrie d’honnêteté. « Je ne savais pas comment t’annoncer la nouvelle. J’avais peur de n’être revenue que pour une brève période de temps et je ne voulais pas te donner de faux espoirs. Peur d’avoir trop changé pendant toutes ces années (peur aussi que tu m’aies oubliée). » Conclut Maebh sans l’ombre d’un sourire. La sorcière ne peut qu’espérer avoir apposé un peu de baume sur de trop vieilles blessures, que le temps permettra à Magda de la pardonner. Maebh se rapproche de nouveau, reprend la parole. « Je suis désolée. » et ses excuses sonnent comme un supplice murmuré : Maebh n’a plus rien à dire pour sa défense.

La princesse aux épines force un sourire sur ses lèvres grenat alors qu’elle jette un coup d’oeil circulaire autour d’elle. « Cette ruelle n’est pas vraiment le lieu que j’aurais choisi pour nos retrouvailles - Maebh rigole, semble être en vie pour quelques instants alors que ses yeux croisent ceux de Magdalena - Viens, je t’invite à boire un café, tu pourras me raconter tout ce que j’ai manqué. » Ses doigts quittent les siens alors qu’elle s’éloigne vers l’avenue principale, se retournant pour vérifier d’un regard dérobé que l’Avery lui emboite bien le pas.