Beggin for thread ☾ ZAHRA&MAEBH

Le sol se dérobe sous ses pieds et Maebh s’écroule à peine la porte refermée derrière elle. Piteux tableau peint par une princesse pleine de fissures : à genoux sur le sol du Ministère la poupée pantèle et sanglote en silence. Ca bouillonne au fond de sa poitrine, ça tire et ça sert dans tout les sens au milieu du vide : pourquoi est-elle encore capable de souffrir autant si son coeur est censé s’être éteint ? Les poings serrés contre ses flans, la sorcière se perd dans les minutes assassines, ne voit pas le temps s’étirer sous ses larmes. Eventuellement, le chagrin finit par s’assourdir. Les larmes (aussi meurtrières qu’honteuses) s’écrasent sur ses clavicules et la belle les écrase d’un mouvement de la paume. Maebh essuie ses joues, le coin de ses yeux noisettes. Prend une dizaine de minutes pour recomposer le masque, bout par bout. Dépose une nouvelle touche carmin à la pulpe de ses lèvres, fixe son reflet, interdite. Sur son visage, toute trace de la tempête a disparu. Il n’y a plus que l’éclat de son coeur brisé au fond de ses billes châtaigne, cet éclat fugace que personne ne sait jamais interpréter correctement. Maebh finit par retourner se mêler à la fête, l’âme plus vide encore qu’une heure auparavant.

Silencieux, le fantôme s’octroie quelques dernières minutes de calme à l’ombre d’un épais rideau avant de retourner à ses mensonges. La Rosier a à peine le temps de faire un pas dans la lumière et de reprendre sa comédie (à grand renfort de moyens, pour compenser le fait que le coeur n’y est plus) que déjà, une voix l’interpelle et lui glace le sang. « Tu as bien fait » Le regard de la rose croise celui de la Shafiq avant de s’en éloigner sans plus attendre. Maebh peut sentir les traits de son visage se fermer et une chape de plomb lui recouvrir les yeux. Cette soirée n’en finira donc jamais. « Tu as bien fait de venir me trouver » La courtoisie de Zahra n’est rencontrée que par un bref haussement d’épaules, les billes tristes de Maebh toujours fixées au loin. Une fois n’est pourtant pas coutume, les mots s’échappent sous le bout de sa langue et la fuient. Maebh repose enfin les yeux sur la fiancée d’Adrastos, lentement, mais le visage de Zahra n’est qu’une esquisse derrière le brouillard. Ses traits sont floués, perdus derrière un écran de colère et de lassitude. La poupée se force à esquisser un sourire poli (la moue sonne fausse, si fausse qu’on se demande si elle a réellement fait un effort) avant de chasser ses inquiétudes d’un geste évasif de la main. « Ca aurait fait mauvaise impression que de le laisser se vider de son sang en plein milieu du Ministère. » Tranche t’elle, aussi raide qu’un bout de bois.

Penser à Adrastos est un poignard enfoncé droit entre ses côtes en direction de son coeur et, le fantôme, refuse d’y consacrer une minute de plus. La peur qui continue de lui étreindre l’estomac (est-il mort ? ou du moins mourant ? il faudra lui passer sur le corps avant qu’elle ne daigne poser la question) est à présent teintée d’un ressentiment amer. Retranchée derrière un voile construit en elle par la faucheuse, un poids semble s’enlever des épaules de Maebh. L’arrogante a toujours été douée pour ignorer la peine et, l’espace de quelques instants, le Lestrange et la Shafiq se retrouvent relégués au fond (tout au fond) de son esprit, côte à côte avec ses cauchemars. La Rosier n’est pas assez bête que pour penser qu’ils y resteront à jamais (elle se doute même avec plus ou moins de justesse qu’ils ne tarderont pas à venir torturer à nouveau son coeur et ses larmes) mais la perspective de ne plus rien ressentir apporte avec elle un soulagement qui envenime ses mots. « Les Lestrange n’ont pas besoin d’un nouveau scandale. » Souffle la vipère. Maebh serait bien en peine d’expliquer le but de ses mots : aucun d’eux n’a valeur de vérité. Acculée, au pied du mur, la Rosier tente de blesser un absent par des piques qu’elle n’aurait jamais profané en sa présence.

Parce qu’elle préfère le blesser lui, la blesser elle, plutôt que de s’autoriser à souffrir une seconde de plus. Parce qu’elle espère, au fond, que Zahra ne batte en retraite face à une statue de pierre.

Lorsque Maebh se décide enfin à poser les yeux sur Zahra, ceux-ci sont voilés de vide. On dit que les revenants ne sont plus exactement eux-mêmes, on dit que leurs émotions sont lointaines, viciées, changées à jamais par la mort. C’est exactement ça qui rampe au fond des billes de Maebh alors qu’elle les plante au fond de celles de la Shafiq : un vide las. Elle n’est pas en colère. Pas vraiment. Le monde est juste lointain, enveloppé de brouillard et de gris. Si de son vivant la princesse était faite de feu et de flammes, elle est à présent sculptée de sel. A force de contempler le trou creusé au beau milieu de sa poitrine, Maebh a cessé d’y faire attention.  « Un cadavre fait rarement bonne impression. Je ne dis pas ça pour toi, bien entendu » C’est presqu’un rire qui répond à Zahra. Les lames finissent leur course là où aurait dû se trouver son coeur, ricochent contre le vide et se finissent par se perdre. « Bien entendu. Bien sûr qu’elle dit ça pour elle. Maebh sourit, rétorque. A ce sujet, comment va ta soeur ? » La question n’a d’autre utilité que de piquer au plus proche de son coeur. Il est trop facile aux yeux de la Rosier de se jouer de ses cauchemars.

« En effet. Tu es bien placée pour le savoir » Les muscles de Maebh se tendent instinctivement alors qu’elle hausse les épaules sans même y penser. « Pas vraiment justement. Commence t’elle, étonnée par les intonations veloutées de sa voix. Du vernis autour de son venin. Maebh n’a plus rien à perdre. Sa mort n’a rien eu d’un scandale pour les Lestrange : une tragédie peut être (et encore pas pour tous). C’est le nom de Rosier qu’on a évoqué plus que tout les autres, c’est vers son père que les yeux du monde magique se sont tournés. Pour quelle autre raison aurait-elle pu mourir que pour se venger d’Oreste ? Qui d'autre à blâmer qu'un fantôme sans nom ? Je pensais que tu serais la dernière personne à qui je devrais rappeler que j’étais absente lors du dernier scandale en date. » Elle s’en fiche Maebh. Elle l’a avoué à Adrastos il y a quelques heures à peine : elle l’aurait aimé par delà les scandales, par delà même sa famille. Par delà le Lord. Elle l’aurait aimé par delà le monde s’il lui avait laissé une deuxième chance. Mais Adrastos n’est pas là et le coeur de Maebh n’est plus qu’un bout de charbon brûlé. Alors, elle se drape d’une indifférence à peine feinte : ni Maebh ni Zahra n’est à blâmer pour les tourments des Lestrange. Maebh le sait mais elle ne peut s’empêcher d’en vouloir à Zahra plus qu’à quiconque. Probablement parce que c’est plus facile comme ça. Maebh se tait, sourit. Sourit d’un de ces sourires qui parle sans avoir besoin de mort : tu es après tout celle qui le plus profité de ma mort.

« Il va bien, puisque tu me le demande. Du moins, pour l’instant » Maebh ne bouge pas. Si un soupir de soulagement ne manque pas de se perdre quelque part entre son estomac et son coeur, rien n’en transparaît sur son visage de poupée figée. « Tant mieux. » Le ton est mécanique, presqu’absent. Tout au mieux, elle est encore plus raide qu’au début de leur conversation. L’égoïsme de Maebh a cela de fabuleux qu’il agit comme une muraille entre elle et le monde : plutôt s’écrouler devant n’importe lequel des invités que devant Zahra. Même alors qu’elle se devrait de réagir, Maebh est encore et toujours dans le défi. C’est à celle qui souffrira le moins ou qui du moins le cachera le mieux.

« Mais tu dois t’en douter. Si ce c’était pas le cas, je ne serai évidemment pas revenue faire bonne figure » Maebh la regarde de nouveau, attrape à son tour une coupe de champagne lorsqu’un serveur repasse à proximité. « Oh je n’en sais rien. La mauvaise foi est évidente et Maebh ne tente même pas de la cacher. Je ne te connais pas après tout. Qui sait. » Ca a beau être la vérité, Maebh n’en sait pas moins assez sur sa relation avec Adrastos que pour la croire.  Si ça a seulement encore de l’importance. Abrupte et toujours avec le tact d’un morceau de glace, Maebh finit par briser le silence. « Je me demande une gorgée de champagne pourquoi tu es venue me parler. Ce n’est pas comme si on se devait quoi que ce soit après tout. » Ce n'est pas comme si tu m'avais volé ma vie. Maebh est loin d'être idiote : elle sait qu'elle était morte et qu'Adrastos était obligé de refaire sa vie pour se reconstruire. Elle ne peut cependant pas s'empêcher d'être pleine de ressentiment lorsque ses yeux croisent ceux de la Shafiq, de son futur nom de famille à la bague ornant sa main. Aimer Adrastos est le seul crime de Zahra. C'est assez aux yeux de Maebh que pour la crucifier encore et encore.

Maebh n’est plus que nerfs et bouts de chair à vif. La joute verbale dans laquelle elles se sont enfoncées n’a d’issue que deux perdantes. Comment pourrait-il en être autrement ? L’une est un douloureux rappel du passé, l’autre du futur. Le présent semble éluder Maebh, lui glisser entre les doigts alors que le monde lui donne le vertige. Zahra répand son venin et la Rosier lui réponse systématiquement par toujours plus de poison : le cercle vicieux est enclenché et frappe systématiquement là où ça fait mal. Maebh est fatiguée, lasse de voir les piques s’enchainer sans pour autant faire le premier pas vers Zahra. « Évidemment. Tu n’étais pas là. » La remarque blesse Maebh plus que son visage impassible ne le laisse penser. Son estomac se tord et rugit, frustrée de se voir une fois de plus reprocher sa mort. Comme si elle avait choisi de mourrir. Comme si elle avait choisi de disparaître du jour au lendemain, laissant rêves et avenir derrière elle. « Ta présence en atteste, en effet. » Siffle Maebh, mauvaise. Maebh sursaute lorsque la main de Zahra se pose sur son bras, s’écarte brusquement d’un pas sans même la regarder. La Rosier n’a jamais aimé le contact des étrangers et la Shafiq est loin de faire exception.

Zahra continue son laïus et, encore une fois, Maebh se contente d’hausser les épaules et de porter la coupe à ses lèvres. Au diable les conséquences pour les Lestrange, elle est morte, par Merlin ! N’est-ce pas assez ? Les lèvres de la Rosier se serrent alors que l’indifférence dont elle s’est murée se fissure quelques instants. « C’est bien malheureux. » L’indifférence toujours. Pas une question supplémentaire, pas un sourire. Maebh ne veut pas savoir, pas encore. Et pire encore : elle ne veut pas l’apprendre de la bouche de Zahra.

« Mais, à vrai dire, tu m’en devais une. Puisque, pour te faire une confidence, Adrastos n'avait pas très envie de te voir après ton retour. Et ne l'aurait sûrement jamais fait si je ne l'y avait pas poussé » Touché. Sa poitrine trouée s’agite et se contracte alors que ses doigts se resserrent autour de son verre de champagne. Peu importe que la Shafiq se tienne sur les bouts de son coeur, Maebh est sauvée par son orgueil. L’orgueil qui la pousse à sourire, vicieuse. « Si c’est un merci que tu cherches, tu risques d’attendre longtemps. » Zahra continue de parler et Maebh ne l’écoute plus que d’une oreille, ne faisant même plus mine de feindre l’intérêt. La grimace se perd tout comme son ton mielleux. « Un service pour un service. On peut donc estimer que nous sommes quittes, n'est-ce pas ? » Pour la première fois depuis le début de leur conversation, Maebh se fend d’un rire sincère. Elles ne seront jamais quittes, ainsi va la vie.

« Pense ce qui te fait plaisir si ça t'aide à mieux dormir la nuit. » Maebh termine sa coupe de champagne, la pose sur le plateau d’argent d’un des serveurs. La silhouette d’Oreste se découpe au loin et la Rosier ne manque pas d’y voir l’occasion parfaite de se défiler. « Pour ma part, le fait qu’on soit quittes ou pas ne pourrait pas m’intéresser moins. » Et c’est probablement la chose la plus honnête que Maebh n’ait pu lui dire. La revenante sourit et désigne son père du bout des doigts. « La conversation a beau être charmante, je devrais retourner auprès de mon père. Il y a des gens avec qui il voudrait que je parle et je suis sûre que tu n'en fais pas partie. » Les fiançailles de Zahra à Adrastos continuent de faire parler d’elles (toute personne de bon sens se serait débarrassée de l’alliance en même temps que du scandale, sifflent les vipères) et, au sein du clan Rosier, on s’éloigne autant que possible de tout ce qui touche aux Mangemorts déchus.

Par masochisme ou nostalgie, seule Maebh fait encore figure d’exception.
Pour le moment.
Pas avec Zahra.

Dans un ultime sourire, Maebh remballe son poison et sa douleurs, s'éloigne, ombre filante parmi d'autres.

FIN