{FB} i'm the dark in need of light - sunny

L’homme s’adapte à tout, même au plus brutal des environnements : c’est la seule raison qui a permis à l’espèce humaine de survivre toutes ses années, et c’est la seule raison qui permet d’expliquer qu’Umbriel n’ait pas mis à ses jours lorsqu’il a compris ce qui s’était passé, où il était, quand il était. Difficile pour lui d’imaginer que cinquante ans se sont écoulés depuis son trépas, qu’il a une tombe, quelque part, qu’on l’a pleuré puis remplacé. La blessure fantôme de ses doigts repoussés le démange, l’image de ses assassins lui emplit l’esprit chaque soir. Il a du mal à dormir, le Lockwood, installé à la va vite dans une chambre d’amis qui était à l’époque de sa première vie celle de son fils. Ses fils. Cruelle histoire, difficile à croire, d’être mort si peu de temps avant la naissance de son deuxième enfant, de se dire qu’il a été élevé par un autre, qu’il ne l’a jamais porté dans ses bras, qu’il ne lui a jamais dit qu’il l’aimait. Maintenant, il a un inconnu portant ses traits, son nom, son sang, qui l’appelle « père » comme s’il s’agissait d’une insulte.

Il étouffe, Brie, dans cette maison sombre, craquante, qu’il a connu radieuse et lumineuse, avec ces gens qui ne parlent qu’argent et profits. Il a l’impression d’interrompre toutes les conversations, les imaginent tournant toutes autour de lui. Il manque d’appétit, tient sa langue à grande peine, retient la magie qui tourbillonne autour de lui au moindre problème. Il a déjà brisé trois lampes cette semaine, et une bonne partie du vaisselier – comme s’ils avaient besoin d’une vaisselle estampillée aux armoiries de Serpentard – mais il garde secret le fait de pouvoir faire bien pire : que sa magie lui sussurre qu’il pourrait tout aussi bien faire exploser des têtes que de la faience, fragiles individus aux fragiles pouvoirs. Il espère parfois que tout ne soit qu’un cauchemar, une erreur, qu’on lui explique enfin s’être trompés de Lockwood, mais non, ce sont bien les siens.

Alors il s’échappe, comme tous les jours, prétend aller marcher, suivre des cours pour revenants, s’acclimater au monde sorcier d’aujourd’hui. Prétend s’être perdu sur le chemin du retour chaque fois qu’il découche. Retrouve ses astuces d’adolescent pour éviter la rouste maternelle, lui qui se sent scruté et jugé par ses descendants.

Ce jour, la pression est plus forte à ses oreilles, symptome du autant à la tension régnant au sein du « foyer » familial que due à des artefacts de vieille magie noire qu’il a trouvé dans un cabinet de curiosités. Les mêmes objets qu’il désenchantait autrefois, servant de décoration morbide. Brie n’a pas supporté leur présence, leur magie, alors même qu’il ne maitrisait pas assez la sienne pour ouvrir leur coffre et les réduire en poudre. Depuis, tout lui semble plus brillant, plus aveuglant, et il navigue dans la foule des sorciers du chemin de traverse dans l’espoir de se noyer dans une magie plus en symbiose avec la sienne, espoir bien maigre vu l’époque.

Un point pulse entre ses yeux et il les ferme, chassant la migraine, lui le revenant qui ne ressent plus de douleur physique. C’est sa magie, comme toujours, qui le protège à défaut de se laisser dompter, et qui le prévient d’un scintillement qu’il doit être seul dans la foule à sentir : une rune de magie blanche, pure, destructrice. Ils sont nombreux à s’être vautrés dans les arts sombres, succombant à la séduction de la destruction, mais ils sont bien moins nombreux à avoir saisi que c’est la magie blanche qui nettoie, soigne, annihile l’ennemi. Ceux qui portent ce type de symboles en font partie, et presque à l’aveuglette, faisant confiance à sa magie pour l’instant complice, il aggrippe le bras d’un homme, s’armant d’un sourire malgré ses yeux plissés pour lui faire comprendre qu’il ne l’agresse pas.

Homme d’âge mur, aux cheveux grisés prématurément, mais une posture solide, et le manque d’embonpoint qui marque les pires représentants des collaborateurs des mangemorts, il fait face à un individu capable de se protéger, pas le moindre doute. Pas le moindre doute aussi sur la magie qu’il sent sur lui, et il est déjà mort, s’il se trompe il ne sentira surement même pas la morsure du trépas revenant le chercher.

« Excusez-moi, je crois qu’on se connait, on ne s’est pas croisé à ce salon de tatouage, le Phénix, il y a quelques mois ? J’adore ce que vos associés font, j’aimerais beaucoup travailler avec eux. » Il est déjà risqué de prononcer ce mot, mais il n’a pas trop le choix, c’est tout ce qu’il a pu grappiller sur la résistance à l’oppresseur depuis son retour. Sans aucun doute, il va se faire frapper, ou embarquer par une milice, mais il ne connait aucun des noms de code que les membres actifs de cette rébellion se donnent entre eux, et il refuse de perdre plus de temps à tenter de redonner du sens à ce monde.

Tout ce qu’il peut offrir à son interlocuteur, après lui avoir énoncé cette phrase d’un ton enjoué, ce sont ses mains vides, lui qui laisse sa baguette dans sa poche, n’en ayant plus l’utilité, et ses manches retroussées, les bras nus et non marqués, la seule preuve qu’il puisse apporter de ses bonnes intentions. Bien maigres cadeaux, il le sait, mais depuis son retour, c’est tout ce qu’il a : lui-même.