Angharad Ueda et Marcus Slughorn

Il y a des refuges qui n’en sont pas.

Marcus a beau tourner dans son cabinet, le regard volubile sur les grimoires ouverts et les fioles éventrées, il lui semble que le noir est devenu un tombeau portatif. C’est la première fois que la bibliothèque familiale ne le satisfait pas, la première fois qu’il se sent aussi démuni et cette pensée lui donne un haut-le-cœur.

Si tenté qu’il en ait encore un, de cœur.

Les doigts tournent les pages, les pas tempêtent sur le sol de velours du manoir. La lande écossaise a des relents de cauchemars ocre, les touches de peinture comme ancre terrifiante dans un lieu où ni passé ni présent n’existent vraiment. Ici, le temps est un cercle, contrit et élastique. Ici, il se sent moins décalé par rapport à ces corps qui pulsent trop fort et sont trop chauds.

L’opuscule entre ses mains est tiède comme seul le savoir peut l’être. Il a commandé ce livre chez Obscurus books et s’il le parcoure d’un œil glacé, il cille aussi à certains passages, fait claquer sa langue sur son palais dans un mouvement agacé, finit par se lever fébrile, presque courroucé comme si l’offense était bel et bien personnel.

« Note… » Il s’arrête. Avant, il pouvait encore espérer que sous sa voix autoritaire, la plume à papotes se mette en branle et commence à tracer d’elle-même les mots sur un parchemin vierge. Avant. Un sourire amer se forme sur son visage horrifié. Il n’y a plus que très peu de magie dans ses veines, son sang – si pur – presque inutile dorénavant. Pendant un court instant, le désir d’envoyer valser ce qu’il y a sur la table le démange, saccager pour mieux reconstruire, détruire de rage tout ce qui est à portée de main.

C’est ce qu’il fait, à sa manière.

La plume chatouille l’épiderme et l’encre vacille sur la toile.

Miss Ueda,

D’ordinaire les correcteurs sont des fantômes bienheureux, petites taches noires au fin fond d’une page que personne n’ouvre jamais. C’est ainsi qu’ils sont heureux, leurs talents cachés et pourtant évident à leurs lecteurs.

Et pourtant miss Ueda, me voilà à écrire plusieurs fois votre patronyme sur ce parchemin, et - comme si la monstruosité n’était pas ici assez grande - je le fais par dépit. Vos ouvrages me sont précieux, je dirai même que leur contenu ne révèle ni plus ni moins d’une question de vie ou de mort, pourtant me voilà contraint de devoir vérifier certains dosages parce que vous n’utilisez pas le système métrique et celsius de notre société. Il m’importe peu de savoir que l’auteur est originaire des colonies, en tant que correctrice vous devez veiller à ce genre de détail il me semble.

Je vous renvoie cet ouvrage et vous laisse y apporter les véritables corrections nécessaires. Il y a d’autres petites choses que j’ai listés à la fin de cette missive ainsi que d’autres titres qui me seront nécessaires comme « La mort, destination finale ? » De Robzon Bie et « Hécatombe » d’ Elizabeth Soutère. Je vous remercie d’avance.

N’y voyez aucune malice miss, mais ne seriez-vos pas nouvelle employée chez Obscurus ? Je n’avais jamais eu à écrire auparavant et mes souvenirs sont quelques peu rouillés parfois.

Cordialement,

M.Slughorn