friends can be silent † (saràn)

Il a les traits tirés par la fatigue, un manque de sommeil qui sera bientôt résorbé mais aujourd’hui il ne peut se résoudre à rester cloîtré dans la chambre du manoir Carrow à tenter de récupérer de sa nuit de travail pour mieux affronter la prochaine. Il y a de pauvres âmes qui n’attendent pas, et il ne pense pas à celles des futurs défunts ou revenants. Livre collé contre son cœur juste sous sa cape, il avance dans les différentes ruelles. Les apercevoir de jour se fait bien rare depuis quelques temps et Ciaràn doit bien admettre que, même sans voir le soleil, cela fait un bien fou d’en apprécier la luminosité sous les nuages. L’air frais qui fouette son visage ne semble pas égayer ses traits mais en réalité il l’accueille avec bienveillance, le fait se sentir plus vivant qu’il ne peut paraître l’être à d’autres moments. Il a les yeux tristes, l’irlandais, bien trop souvent, fardeau du don qui pèse sur ses épaules et duquel il ne pourra jamais se défaire. Chaque âme qui meurt pèse un peu plus sur son cœur, chaque jour que Merlin fait, qu’il s’agisse d’une bonne ou d’une mauvaise. Lorsqu’il arrive aux abords de la petite boutique de potion, son cœur se gonfle à l’idée de la voir. Ils n’ont pas besoin de se parler pour se sentir à l’aise en la présence de l’autre, les potions et divers ingrédients parlent pour eux. Jamais il ne la remercierait assez pour cette main tendue vers lui, cela n’est peut-être qu’un livre, tout comme il ne s’agissait que de sa vie concernant Nimue, mais pour lui cela représentait beaucoup plus que cela. Ciaràn a toujours su être reconnaissant envers ceux qui le méritent.

Arrêté derrière les vitres, le sorcier passe un temps indéfiniment trop long à observer les petites fioles de la devanture avec une douce attention. Si les temps avaient été différents… Si les sorciers de sang-purs étaient moins regardant sur ceux qu’ils ne comprennent pas, sans doute aurait-il été en mesure d’avoir un véritable métier, lui, l’ancien Serdaigle perdu dans les livres et manuels divers. Potentiel gâché pour une anomalie du sang. Pour un ADN que l’on voyait comme défaillant. Ils ont tous peur de la Mort. Il garde son livre contre lui jusqu’à ce que ses billes sombres ne se lèvent et aperçoivent la chevelure dorée de la jeune femme à l’intérieur. Sorcière qui le fixe et à laquelle il se dépêche de répondre d’un sourire, non sans avoir tressailli juste avant, littéralement pris de surprise. O’Malley est souvent sur le qui-vive même lorsqu’il ne se passe rien. Il ne se passe rien aux yeux de ceux qui ne voient pas.

Enfin, il accepte de pousser la porte, sonnette retentissant au même moment, l’obligeant à lever les yeux vers cette dernière. Ce n’est pas la première fois qu’il vient, mais c’est bel et bien celle où il pénètre à l’intérieur. Toutes les fioles, vides ou pleines aux multitudes de couleurs différentes sont comme le plus beau des spectacles, sans parler des odeurs de plantes et autres choses qui cuisent ou sont traitées sous les doigts experts. En silence, il se rapproche de Saga qui travaille, posant son livre sur un coin de table. Il ne prononce pas un seul mot, Ciaràn, s’étant contenté de la saluer d’un petit geste de la main juste avant d’entrer. Penché en avant, il s’accoude contre le fameux livre aux pages cornées, démontrant qu’il n’a eu de cesse de lire encore et encore le contenu tel un véritable addict. Seules les prunelles couleur terre bougent et observent chaque geste de la potionniste. Geste qu’il admire pendant de longues secondes durant sans rien dire. Il y a quelque chose de fascinant dans le simple fait de la regarder s’activer, écraser les feuilles ou autres substances toutes plus différentes les unes des autres. Ce n’est qu’au bout de dix minutes qu’il vient glisser sa main dans sa poche pour en sortir une liste qui ne contient que deux lignes et deux chiffres. « J’aurais besoin de ce qu’il y a d’inscrit sur cette liste, tu sais si vous en avez… En stock ? ». Il lui faut 5 fioles de potion pour les filles de la maison, et une autre pour lui afin de lutter contre la fatigue musculaire. Il ne s’attend pas à ce qu’elle pose de questions à ce sujet, tout comme il ne le fait pas pour avoir des remerciements auprès des filles de l’établissement où il travaille. Se faire des économies dans le but de repartir en Irlande prendra un certain temps, et il n’est pas mal loti au sein du manoir de Nimue, contrairement aux sorcières qui sont condamnées, elle, à vivre perpétuellement entre les murs de cette bâtisse des plaisirs…  

Il ne se lasserait jamais des pages de ce livre de potions, comme un éternel rappel de l’intellect dont il bénéficie et dont personne ne veut à cause de sa particularité. Mais pas Saga. Elle n’a pas jugé, car bon nombre de personnes savent ce qu’il est. Les pauvres ne sont pas pauvres par hasard au sein de cette Société magique.  Silencieux, il observe pendant de longues minutes la sorcière s’activer à la préparation de ses diverses potions avant de finalement lui donner la maigre liste qui l’a poussé à franchir le seuil de la boutique. Plusieurs fois d’affilées, les yeux sombres se posent sur les divers étales contenant fioles remplies ou vides, les bocaux contenant tous les ingrédients nécessaires et Ciaràn ne peut s’empêcher de penser qu’il se sentirait bien dans un endroit pareil. A peine le parchemin se trouve entre les doigts de la jeune femme que cette dernière se met à préparer sa commande en silence, et chaque fois qu’elle pose son regard sur lui, l’irlandais lui offre un petit sourire qui pourrait clairement passer pour de la timidité étant donné qu’il ne garde pas plus de trente secondes les prunelles rivées sur elle. Lorsqu’elle revient finalement avec cinq fioles sur six, le semi-banshee penche la tête sur le côté et l’écoute attentivement, la voix de Saga s’envolant dans les airs comme une mélodie encore non entendue. La dernière pourra être prête pour demain dans l'après-midi, au plus tôt. Il opine du chef en refermant le livre des potions et s’approchant du comptoir pour sortir une bourse de cuir emplie de quelques pièces. Il ne roule clairement pas sur l’or mais le métier d’oiseau de nuit commence doucement à porter ses fruits et il est loin d’être égoïste, Ciaràn.

Prix annoncé, il fouille dans sa bourse, va même jusqu’à vider ses poches et tend le tout à Saga qui se charge d’encaisser. Pour celles-ci... qu’elle commence, le forçant à relever à nouveau la tête vers elle, inspectant le contenu de la fiole. Pas plus d'une goutte par jour. Les risques ne sont pas négligeables et il ne sert à rien d'en abuser. Une nouvelle fois, il opine du chef. « Noté. » qu’il sourit à son tour et emmagasine l’information dans un coin de sa tête pour la mémoriser. La dernière... Ciaràn suit son geste des yeux avec lenteur lorsqu’elle arrête son doigt au-dessus de la fiole qui le concerne lui directement. Il n'y a pas de contre-indications, mais tu pourrais avoir des problèmes de concentration en prenant de grosses quantités. Une goutte soulage pour environ deux heures. Cette potion aurait pu être pour n’importe qui, mais Saga semble avoir compris qu’elle le concerne et il ne se sent pas d’humeur à prétendre le contraire, n’en a pour ainsi dire même pas l’envie. « Je n’en abuserai pas… ». Les billes sombres croisent celles de la potionniste et l’interrogation qui s’y lit ne passe pas inaperçue. Venant se mordre l’intérieur de la joue au moment où elle détourne les yeux, l’irlandais reste un temps trop long silencieux et immobile avant de cracher le morceau, peu enclin à laisser la conversation s’envoler pour cette fois. « Les potions sont pour les filles du démons et merveilles. ». Il a toujours trouvé ce nom un peu cliché, jeu de mot facile vis-à-vis d’une créature magique quand bien même cela reste intriguant pour quiconque passe devant la maison simple. D’apparence elle n’est qu’une bâtisse comme une autre, mais à l’intérieur en revanche… « Toutes n’ont pas la chance de bénéficier d’un toit autre… Comme moi. ». Sentant le rouge lui monter légèrement aux joues, il se racle la gorge et emballe soigneusement les fioles avant de les glisser dans les poches intérieures de sa longue veste. « Et donc… N’ont pas les moyens de se prémunir des risques. Comme je n’ai qu’un souci de courbatures, je me suis dit que je pourrais leur rendre au moins ce service. » qu’il ose malgré tout terminer avant de baisser les yeux, gêné. Vient-il vraiment de révéler qu’en plus de s’intéresser au bien-être de prostituées, il faisait littéralement parti des leurs ? Oui, apparemment. C’est bien ce qu’il vient de faire et qui l’aurait cru ?

Avec Saga il se sent en confiance, étonnamment, bien plus qu’il ne l’est avec Nimue, même si cette dernière semble s’ouvrir un peu plus. Il demeure toujours ce voile d’obscurité autour d’elle et qu’il ne comprend pas à chaque fois. Qu’il ne comprend pas, tout court, en fait. Mais il a un toit, sans doute cela rassurerait-il la potionniste de le savoir. De savoir qu’en plus de vendre ses charmes et son corps, il ne vit pas à l’intérieur du fameux bordel.