Le souffle saccadé, Nerys cherche une issue. Une porte qui s'ouvrirait sur une échappatoire, un escalier sous lequel se cacher, n'importe quoi sauf se faire attraper.
Les souvenirs remontent, inattendus. Un jour d'été au manoir principal des Slughorn. Ce jour là aussi, elle avait couru - en vain. Lindsay n'était pas dans le coin, ni leurs parents. Quel âge avait-elle ? Huit ans ? Pourquoi s'était-elle laissée piéger ainsi par ses aînés, quand elle savait parfaitement qu'Ariadne n'attendait que ce genre d'occasion pour l'attraper ? Ce jour là aussi, elle avait échoué à leur échapper. Son dos rencontre le mur avec violence, quand elle est rattrapée par celle qui la traque. L'air est chassé de ses poumons et elle écarquille les yeux, perdant sa baguette sous la violence du choc.
« Laisses-moi ! » proteste-t-elle, en vain. L'autre est pleine d'une hargne sans pareille, et bientôt l'empoigne par les cheveux pour la jeter au sol. Les insultes fusent comme une volée de coups, alors qu'elle tente d'échapper à ces mains qui veulent à nouveau lui saisir la crinière. Les larmes commencent à perler aux coins de ses yeux, bien malgré elle. Nerys ne pleure pas aisément, mais cet affrontement là a quelque chose de particulier.
C'est mérité, souffle une petite voix dans un coin de sa tête, qu'elle s'empresse de faire taire. Bientôt, une véritable voix, tonnante, s'élève au bout du couloir. Les doigts se desserrent aussitôt, la laissant choir au sol, et sa tortionnaire s'enfuit à toutes jambes.
◈◈◈
C'est un bon parti. Sans doute l'un des meilleurs qu'elle puisse convoiter. Dans la discrétion de ce salon secondaire, elle peut se permettre un peu plus que d'ordinaire, loin des yeux si faciles à scandaliser. Sa main s'aventure sur un genou, invitation silencieuse. Leurs regards se croisent, et Maximilian semble résister un instant à la tentation. C'est un très bon parti, et il est plutôt bel homme malgré ses trente-cinq ans. Il est
exactement ce qu'elle cherche, ce qu'elle espère, ce à quoi elle aspire ; dans ses bras, la société magique serait à ses pieds. Le cœur naïf se fait des idylles, se construit des espoirs sur ce qu'elle croit comprendre du monde. Elle a même écarté la concurrence, pour être certaine qu'il cède à ses avances et à aucune autre. Ce n'est pas une demande parentale ; sans doute lui auraient-ils trouvé une cible plus réaliste, qu'elle aurait eut plus de chances d'obtenir. Un homme plus jeune. Moins influent, qui ne soit pas à la tête d'un département du Ministère.
Tu te fais des films, Nerys, lui a-t-on répondu avec un rire moqueur, quand elle en a parlé à son père.
Jamais il ne t'épousera ! Qu'il se détrompe donc. Déjà il l'attire plus près, la hisse sur ses genoux. Elle sent qu'il a envie d'elle, le français. Qu'il tombe amoureux et lui passe la bague au doigt ne devrait pas être trop compliqué...
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Deux mois de mariage. Une porte qui ne devrait pas s'ouvrir, une scène qui ne devrait pas être surprise. Un autre homme, dans les bras de celui qui est désormais son époux. La théière lui glisse des mains et se brise sur le carrelage.
Tu ne diras rien, Nerys. J'ai la générosité de ne pas t'oublietter, car c'est inutile : je le reverrai, et tu ne diras rien à personne... Si tu veux vivre. Quatre mois de mariage. La réception est huppée, les plus grands noms dansent au milieu du grand salon. L'alcool coule à flot, en particulier dans le verre de Maximilien. Peut-être cherche-t-il à oublier qu'il est marié à une femme qu'il n'aime pas et qui ne l'aime pas, une femme qu'il a utilisé et qui s'est tout autant servie de lui.
Bientôt, le manoir de madame et monsieur Salomon se vide, jusqu'à ne laisser que les époux. Les masques tombent, le charme s'évapore et les gestes attentionnés se transforment en regards sombres.
À peine se sont-ils glissés sous les draps que Maximilian assène : « Tu n'es toujours pas enceinte. »
La gorge de Nerys se noue, une pierre semble rouler jusqu'au creux de son ventre. Oui, elle n'est toujours pas enceinte, et il espère un héritier aussi vite que possible. Quand elle lui aurait donné un garçon, la jetterait-il dans un fossé pour avoir la paix et s'adonner à ses plaisirs contre-nature comme bon lui semble ?
Soudain, elle sent sa main sur sa hanche, qui la tire. Elle refuse, tente de le repousser, mais l'idiot est éméché. Il n'y a pas de
non qui tienne, quand on est l'un des plus proches suivants de Voldemort, quand la société magique toute entière nous regarde avec crainte et respect. Mais Nerys ne veut pas sentir sa peau qu'un autre a embrassé, ni le poids de son corps sur elle. Rien n'est comme elle l'imaginait. Ce soir là, elle se débat et hurle sa haine, en vain.
« Si tu ne tombes pas enceinte, j'en trouverai une autre, menace-t-il lorsqu'il en a fini – avant de se détourner du corps tremblant de Nerys. »
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Cinq mois de grossesse. Le soulagement ; les craintes de ne pas pouvoir donner d'enfant, enfin envolées. Le travail pour seul échappatoire à cet enfer personnel qu'est devenu son mariage. Le travail, au delà de la raison, au delà du danger ; un sort perdu, et la voilà qui frôle la mort. Quand elle quitte enfin Sainte Mangouste, Maximilian l'attend et sa rage est sans égale.
Tu aurais pu perdre l'enfant, inconsciente ! Jusqu'à présent, il n'avait jamais levé la main sur elle. Il n'épargne pas le visage, bien au contraire. C'est le ventre qu'il ne veut surtout pas toucher. Quelque sortilèges suffiront à effacer les coups. Il faut qu'elle comprenne, qu'elle apprenne sa place. Dorénavant, elle ne quittera plus le manoir sans lui, décide-t-il.
Sept mois de grossesse. Lindsay a fini par s'inquiéter. La distance entre eux a grandi doucement au fil des mois, mais il a fini par voir que quelque chose n'allait pas dans son comportement. Il la connaît comme s'ils n'étaient qu'une seule et même personne. Les années à vivre avec lui semblent pourtant si lointaines, si enviables. Elle s'épanche dans ses bras, Nerys, lui avoue tout. C'est la mort de Maximilian que son jumeau lui promet, pas moins. Sa tête sur un plateau, son sang pour souiller le carrelage de ce maudit manoir, devenu prison dorée.
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L'époux est mort depuis un mois quand elle accouche. L'enfant est muette.
Althea. C'est de sa faute, elle en est certaine. Elle la tient avec précaution, comme si le moindre geste pouvait briser cette poupée si fragile, déjà abîmée par la vie avant même d'avoir vu le jour. C'est entièrement de sa faute. Si elle n'avait pas reçu ce sortilège, si elle était restée sagement chez elle comme n'importe quelle femme enceinte dotée de bon sens... Maximilian avait raison, elle n'est qu'une gamine stupide et irresponsable. Elle vivra, pourtant, cette petite créature qui fait bondir son cœur. A-t-elle seulement voulu être mère ?
Trop jeune, souffle-t-on dans son dos, et Nerys sait bien qu'ils ont raison. Mais que ceux qui croient pouvoir la séparer d'Althea aillent brûler en enfer.
The other side of the mirror
Un chat, c'est si facile à attraper. Même quand on a que huit ans. Avec de la volonté et de l'adresse, il ne faut que quelques minutes. Le petit couteau déchire les chaires avec difficulté. Il n'est pas vraiment fait pour, elle l'a volé dans la cuisine il y a deux ans et il n'a pas été affûté depuis. Il la griffe, bien sûr, mais rapidement ses miaulements aigus se taisent. Elle n'a pas encore la patience de supporter ce bruit, il faut que ce soit rapide et efficace. Les draps en dessous se gorgent rapidement de sang, une large fleur se dessinant sur le lit d'Ariadne. Elle irait discrètement se laver les mains dans la fontaine, et à nouveau cacher le couteau dans le faux-plancher de son placard. Elle fixe encore le spectacle quelques instants, les yeux écarquillés. Jusqu'à présent, elle n'avait tué que de très petites créatures. Tout ce rouge, en bien plus grande quantité qu'elle n'en a l'habitude... Ariadne comprendrait le message, ou peut-être pas, ça n'a pas d'importance en vérité. Tout ce qu'elle veut, c'est entendre son cri surpris. Dans l'idéal, apercevoir sa mine dégoûtée.
Si elle pouvait directement planter le couteau dans la jambe de sa demi-sœur, elle l'aurait fait depuis longtemps. Mais Ariadne est plus grande et plus forte, aussi son instinct lui souffle de ne pas dépasser certaines limites - d'autant que Père serait sûrement mécontent. Certes, il est rarement satisfait de ses cadets. Mais découvrir que les deux fratries se livrent une guerre sans merci n'arrangerait pas son humeur.
Avant de quitter la chambre d'Ariadne, elle essuie soigneusement ses doigts sur l'oreiller.
◈◈◈
Nerys doit se venger de cette imbécile qui a osé l'attaquer l'autre jour. Cette fois, elle la prendrait par surprise, elle lui ferait subir bien pire que des insultes et des coups. Elle attend au coin du couloir que sa silhouette apparaisse. Les cordes qui jaillissent de sa baguette s'enroulent autour de la silhouette de l'adolescente, et très vite elle s'effondre au sol. Un second sortilège la réduit au silence ; ses cris risqueraient d'ameuter les professeurs ou d'autres élèves.
« Tu fais moins la maligne, mh ? »
Le visage de l'autre se tord de colère, ses lèvres cherchant en vain à cracher des mots. Nerys prend son temps pour la retourner sur le dos et s’asseoir à califourchon sur elle, la mine satisfaite. Oh, l'idiote a cru qu'elle pourrait rester impunie.
La haine pour celle-ci a des racines bien particulières... auxquelles Nerys tente de ne pas penser, mais en croisant son regard, elle se fait emporter par une vague d'images. Ce jour maudit où les choses lui ont échappé.
Plus jamais. Plus jamais leurs lippes qui se cherchent, leurs mains qui s'aventurent. Folie contre-nature, tentation abjecte qu'elle suspecte d'avoir été causée par de l'amortentia.
Forcément.Elle sort de sa poche une petite fiole et saisit la mâchoire de l'adolescente pour mieux lui faire ouvrir la bouche. Le liquide, à l'odeur immonde, se vide au fond de sa gorge malgré ses haut-le-cœur. Bientôt, la sotte serait terriblement malade - plusieurs jours, peut-être même des semaines. Elle manquerait les cours, voir même des examens, et se retrouverait cantonnée à l'infirmerie. Une punition bien douce, comparée à ce que Nerys a pu infliger à d'autres.
« J'espère que tu n'as rien dit à personne. Si j’apprends que tu as parlé, ce sera du poison que je te ferai avaler, la prochaine fois. »
En se relevant, elle tâche d'ignorer les larmes qui ont coulé sur les joues de sa victime - cette traînée le mérite, après tout.
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Une foutue sang-pure française. Un peu plus âgée qu'elle, un peu mieux placée bien qu'elle ne soit pas chez elle en Angleterre. Une foutue concurrente. Comment s'en débarrasser ? Elle a longtemps réfléchi, calculé, observé. Clairement, Maximilian sait que la française est le choix le plus judicieux. Le seul moyen est donc de la faire disparaître. Elle n'a jamais tué autre chose que des créatures magiques. Un loup-garou fut sa plus grosse cible. Tuer une sang-pure, c'est une toute autre histoire, qui demande beaucoup plus de précautions.
L'attirer loin de chez elle est facile. Le faux rendez-vous amoureux, prétendument envoyé par Maximilian, fait l'affaire. La lumière verte jaillit de sa baguette avec aisance, la détermination empêchant ses doigts de trembler. Détruire le corps est l'étape la plus simple. Au final, elle regrette presque d'être allée si vite. Elle aurait pu prendre son temps, lui tirer quelques informations juteuses avant d'en finir. Qu'importe, ce qui est fait, est fait.
Tout pour cette place qu'elle envie, tout pour ce pouvoir qui l'attire comme du miel.
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Un autre meurtre, pour d'autres raisons. Maximilian. Elle n'aurait jamais cru prendre cette décision un jour. Nerys ne l'a jamais aimé, bien qu'elle ait parfois espéré tomber amoureuse. Sentir son coeur se réchauffer entre les bras aimants de cet homme-là. Au lieu de cela, un an d'épreuves, de haine, d'incompréhension. Sa fierté écrasée. Son orgueil piétiné, jeté aux lions.
Lindsay fut le rappel salvateur. Coupée du monde, perdue, elle se pensait obligée de continuer ainsi mais avait tord. Enfant aveuglée, ayant oublié sa propre force.
Comment échapper à la justice magique ? En tuant autrement que par la magie, ou le poison.
Elle ne compte pas les coups, Nerys. Le petit couteau a vieilli depuis la première fois qu'elle s'en est servie, mais il est désormais parfaitement affûté. Cette fois, elle prend son temps, sous le regard satisfait de Lindsay. Il n'y a pas que l'efficacité qui compte, mais aussi la douleur qui se dessine sur le visage de Maximilian. Tout ce sang qui ruisselle entre eux, sur elle, tâchant sa malheureuse robe. Il s'accroche à elle pour ne pas tomber et elle continue, inlassablement, d'enfoncer l'acier dans son ventre. Le souffle court, la rancœur se déverse, encore et encore. Puisse-t-il souffrir jusque dans la mort.
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L'enfant est muette. Honte qui lui broie le ventre, lui soulève le cœur. L'enfant est faiblarde et muette, incapable de survivre à ses premiers jours sans assistance magique. Au début, la honte est tout ce qu'elle ressent, plus que l'amour ou que la peur de la perdre. Quand on la lui tend au second jour, elle la refuse. Elle n'arrive pas à poser les yeux sur le bambin. Elle a encore une fois échoué. Peut-être devrait-elle effacer cette erreur, poser un coussin sur la bouche de l'enfant et mettre un terme à la vie misérable qui l'attend...
Althea. Ce n'est plus juste « l'enfant » désormais, et elle n'y parvient pas. Sa faiblesse l'emporte. Althea ne pleure pas, ni ne crie ; elle ne pourrait pas même si elle le voulait, et Nerys comprend vite que ce sont ses yeux qui lui parlent - ses grands yeux verts comme ceux de sa mère. Elle mérite une chance, l'enfant muette.
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Nerys n'a repris son poste au Ministère qu'il y a deux mois. Dans le nouveau manoir qu'elle partage avec Lindsay, il y a déjà une pièce secrète.
Sa pièce. C'est qu'elle n'aime guère partager ce pan de sa vie, même avec son jumeau. En deux mois, cinq prises y sont entrés, et presque toutes sont ressortis les pieds devant. Il n'y en a qu'un qu'elle garde, pour des « observations ». La résistance physique à la torture des créatures magiques, leur résilience psychologique ; autant de paramètres qu'elle note avec minutie dans son carnet d'études. Malheureusement, quand l'alchimie s'invite dans son laboratoire, le sujet ne survit pas plus de deux jours.
Son projet le plus fou, elle le garde plus secret encore que ses petites occupations, qui elles sont connues de Lindsay. Créer un inferius. À son âge, c'est folie de s'imaginer qu'elle en est capable, pourtant la Slughorn s'acharne, laissant une traînée de cadavres - surtout des moldus - derrière ses tentatives. D'une manière ou d'une autre, elle parviendra à briser les secrets de cette magie noire qui lui échappe.
You and I, we are like two sides of the same coin
Rien n'est plus rassurant que les bras de son jumeau. Au delà des liens du sang, elle sait qu'il ne l'abandonnera
jamais. Pourtant, Merlin sait tout ce qu'elle a pu faire pour s'assurer de ne pas le perdre. S'il savait le nombre de fois où elle a chassé ses amis, et toutes les filles qui ont pu s'intéresser à lui. Le nombre de menaces qu'elle a proféré.
Il lui
appartient, Lindsay. Elle s'est éloignée, emportée par un mariage semblable à une tempête, mais à présent elle ne quittera plus son coté - quoi qu'il arrive, et au diable les rumeurs qui courent sur leur relation.
Car rien ne vaudra jamais la vision de son jumeau endormi devant la cheminée, tenant Althea contre lui. Les deux êtres pour lesquels elle ferait encore le pire, autant de fois que nécessaire, et à n'importe quel prix.