you shall honor you mother and fatherCe n’est pas le moment. Du haut de ses dix ans, dans sa robe sombre et sévère, Jùli en est consciente. Les dîners de famille regroupant les différentes branches sont toujours source de stress pour les rejetons Lakatos et Estheràzy. Il faut impressionner l’autre côté. Montrer sa supériorité. Et, ce soir, cela ne va pas être possible. Fermant les yeux, dans ce salon trop peuplé, elle tente de lutter. Evidemment, cela plaira à ses parents. Mais il n’en est pas question. Cela lui fait bien trop peur pour s’exhiber en public. Perdue, elle essaye de trouver une échappatoire et ses yeux tombent dans ceux de son frère. Et son aîné n’a pas besoin de mots pour comprendre ce qui est sur le point de se produire. Sa baguette apparaît dans sa main et il tapote doucement sur le bord de son verre, réclamant l’attention générale, qu’il obtient sans le moindre souci.
Excusez-moi. Je tenais à vous remercier, tous et toutes. Depuis mon entrée à Durmstrang … Les lèvres de la petite fille s’écartent pour murmurer un « merci » silencieux, alors qu’elle longe les murs pour atteindre la porte du salon. La vision est là, prête à déborder. Elle sera bientôt en sécurité … ou tout du moins le croit-elle. Une main s’abat sur son poignet et elle lève les yeux pour croiser le regard de son père. Ses joues tremblantes attestent de sa fureur.
Comment oses-tu ? S’il vous p… La gifle s’abat sur sa joue, lui faisant venir les larmes aux yeux alors qu’elle est poussée en pleine lumière, l’assistance se tournant vers elle et délaissant son frère. Elle a le temps d’apercevoir son air désolé avant de sombrer. Cela lui épargne au moins la tirade de son Père sur la supériorité de leur branche alors qu’elle est engloutie par la vision. Du sang. De la douleur. Elle étouffe un cri, et tombe au sol, se cachant le visage dans les mains. Que ça s’arrête. Il faut que ça s’arrête. Son corps entier se cabre, alors qu’elle laisse échapper un cri qui glace le sang des deux familles réunies. Un hurlement de lycanthrope.
[...]
Jùli. La demoiselle prend le temps de finir sa page avant de relever les yeux vers le propriétaire de cette voix, qu’elle ne connaît que trop bien. Anatoli Karkaroff. 1m91 de suffisance, de bonnes manières et d’un charme indéniable. Ils se sont rencontrés lors de la première année de la Hongroise à Durmstrang. L’attraction a été quasi immédiate. La reconnaissance dans l’autre des valeurs importantes a évidemment été un atout important. Religieux, pliés à l’exécution de la volonté de leurs parents, des animaux sociaux, même s’il a une différence de style entre les deux êtres. Loin d’être une romantique, Jùli y a toujours vu ce dont il s’agissait : une relation d’adolescent, peut-être même juste un entraînement l’un et l’autre dans cette période où ils peuvent encore décider quoi faire de leur vie, au moins un minimum, entre les murs de cette école. C’est pour cela qu’à quelques mois du départ d’Anatoli de l’école, elle n’est pas surprise de le voir. Son regard a déjà accroché ce qu’elle cherchait depuis quelques temps : l’anneau qui ceint son doigt. Pas de surprise, une tenue impeccable, voilà ce qu’elle lui offre alors qu’il déclare, de but en blanc :
Je suis fiancé. Je vois cela. C’est terminé. Evidemment. Un léger glapissement à ses côtés et le regard de Jùli trouve brièvement celui de son amie, qu’elle a complètement oubliée. Sortie avec elle pour étudier dans le parc de Durmstrang, elle ne s’attendait pas à ce tour des événements. Qui ne semble pourtant pas perturber l’étudiante et retourne à Anatoli. Sans se lever, elle énonce simplement :
Je vous souhaite le meilleur. Peut-être aurait-il voulu lui dire de qui il s’agit. Peut-être le fera-t-il plus tard. En tous cas, il tourne déjà les talons, peut-être pour retrouver sa promise. Cela n’a pas grande importance. La lecture est reprise, sans pause, sans hésitation.
[...]
Les yeux se ferment, deux secondes. Elle sait à quel point il est dangereux de relâcher son attention ne serait-ce que deux secondes, lorsqu’on est en mission. Particulièrement dans un tombeau égyptien duquel elle a déjà désamorcé pas loin de sept pièges. Ils sont trois, à s’aventurer en eaux troubles. Et c’est elle qui est en charge de l’expédition. Evidemment. En arrivant en Angleterre, elle s’est rapidement fait un nom, commençant par les interventions à domicile sur d’anciens artefacts, jusqu’à ce qu’on lui donne sa chance, dans un tombeau, en Chine. Se promener dans les dernières demeures de personnes était assez conflictuel avec sa foi, mais elle se confessait régulièrement pour expier ses péchés. Aimer ce qu’elle fait, par exemple. Il lui faut cependant reprendre son souffle. Donc, deux secondes. Deux secondes de calme, avant de reprendre. Chaque risque est calculé, mesuré. Le seul qu’elle ne maîtrise pas, et qu’elle redoute, est sa voyance. Cela les a déjà aidé, à passer certains pièges, mais ce n’est pas un jouet et la met toujours dans une position délicate. Leur commanditaire, Mangemort, les attend dehors, en sécurité. Et il est hors de question que lui, ou qui que ce soit d’autre, soupçonne quoi que ce soit. Expirant une dernière fois, elle ouvre les yeux. Et, d’un simple signe de tête, ordonne qu’on avance. Ils rendront ce tombeau accessible. Comme tous les autres. Et elle a déjà repéré la pièce qu’elle désire en plus de sa paye : une amulette en lapis. Coquetterie serait péché. Ce sont ses propriétés qui l’intéressent, et son lien avec la temporalité, chez les Egyptiens. Pour des expériences, de son côté. Mais, ne pas y songer maintenant. Rester dans l’instant. Et continuer.
[...]
Il suffit. La voix du patriarche ne fait pas sursauter Jùli. Elles sont loin, les années où la simple vision de sa moustache tremblant de colère lui donnait envie de rentrer dans un trou de souris. Aujourd’hui, elle l’affronte du regard et de la voix. La lutte sera de très courte durée cependant. Elle sait qu’elle ne remportera jamais cette bataille. Au fil des années, elle a toujours échappé à cette terrible échéance, mais le moment est venu.
Nous avons sélectionné trois partis acceptables. Acceptables. Nul n’est à la mesure de la demoiselle, ce qui a également compliqué les choses. Oh, elle connait parfaitement les trois prétendants. L’un est anglais, de bonne famille, et elle l’a rencontré quand elle a émigré. Sa famille est en affaires avec la sienne depuis des années. L’un des deux autres est un Russe, un peu plus âgé qu’elle, qui a remporté un tournoi de duels sous le regard attentif de son père. Quant au dernier, ils sont allés à Durmstrang ensemble, il s’agit d’un ami. Et elle n’a pas envie de le voir entraîné dans ce cirque. Theodore, l’Anglais, n’a rien demandé non plus. Mais ils connaissent tous les trois ce qu’implique vouloir lier son sort et son nom à une Estheràzy : se livrer un combat sans merci. Les modalités du tournoi changent, selon les années. Mais c’est une tradition ancestrale que son Père entend maintenir, sans qu’elle ait son mot à dire. Relevant le menton, elle l’observe encore quelques secondes avant de baisser les yeux.
Ainsi soit-il. Elle se détourne, ne souhaitant absolument pas voir la satisfaction sur les traits de son père. Elle a la main lorsqu’il l’arrête, un rien d’amusé dans la voix.
Oh. Et ta cousine Ainsley sera de la partie. Pause. Ses yeux se ferment. Sa cousine. Loup-garou. A laquelle ils ont enfin, selon leurs termes, trouvé une utilité. La nausée la prend. Mais elle sort, sans un mot ni un regard.
the only heaven i've been sent toL’index sur le battant de la porte, elle s’arrête. Laisse le bois griffer doucement son épiderme. Jùli pousse un soupir de frustration. L’hésitation n’a jamais fait partie de son vocabulaire. Elle n’a jamais été que certitude et action. Jusqu’à ce que son regard croise celui de cet homme, un soir où elle rejoignait son frère dans un bar pour récupérer un artefact qu’elle lui avait prêté. Le romantisme non plus n’avait jamais été une de ses caractéristiques principales. Elle ne croyait pas en l’amour, en l’alchimie profonde qui pouvait résider dans deux âmes sœurs. Mais ses yeux avaient tout fait vaciller. Sa façon d’agir, de parler, de se comporter. Sa passion, sa sagesse, le mélange exquis des deux. Et tout était parti en fumée. Retrouver Theodore avait été une torture, le goût de ses lèvres qui ne l’enchantait pas plus qu’il ne la dégoûtait d’ordinaire avait tourné à la cendre. Elle avait lutté, corps et âme, quelques temps, avant de rendre les armes. Elle, la guerrière, l’esprit sagace, la droiture incarnée se rendait chez un autre homme que celui qui avait ceint son doigt d’une bague de fiançailles. Mais il fallait qu’elle sache. Qu’elle en ait le cœur net, avant que n’explose son univers.
L’index se lève, et frappe, trois coups, sur le battant. Elle prie, que ce ne soit pas un de ses enfants qui lui ouvre. Elle retient son souffle alors que le battant recule, et se détend quand son regard trouve le sien. Cela ne ralentit pas en revanche son rythme cardiaque, le palpitant tambourinant douloureusement dans la cage thoracique. Le temps de l’hésitation est passé, elle le sait.
Je peux entrer ? Il s’efface et elle s’engouffre dans la brèche. Quand la porte se referme, elle n’attend pas. Bras croisés, elle lui fait face. Superbe dans son impassibilité, elle donne le change comme elle le peut.
Je suis tombée amoureuse de toi. C’est une vérité qu’elle énonce, sans sourciller, sans rougir, sans flancher. Droite. Inflexible.
Ce n’est pas un sentiment que je connais. J’ai tenté de lutter. Mais ce n’est pas possible. Son cœur bat si fort à ses oreilles que cela ne l’étonnerait pas qu’il en perçoive son tempo.
Je ne te demande rien d’autre qu’une réponse : La pause est marquée. Son regard s’enfonce profondément dans les prunelles de l’homme :
Est-ce réciproque, ou non ? Pas de gants. Pas de pincettes. Elle décroise finalement les bras, pour expliquer :
Tu sais ce que cela veut dire pour moi, tu connais les conséqu… Mais avant qu’elle n’ait pu parler de sa famille, de l’engagement qu’elle allait rompre, de son nom, des traditions, il était là. Soudain, contre elle. Ses mains dans ses cheveux. Et ses lèvres, sur les siennes. Alors elle s’abandonne. Perd enfin sa posture défensive. Et goûte enfin au plaisir simple d’embrasser celui qui lui a complètement fait perdre la tête.
[...]
La bague se pose sur la table du petit salon dans lequel il la reçoit. Elle ne fuit pas son regard, mais lui garde les yeux rivés sur le bois.
Je suis désolée. Il n’y a jamais eu d’amour de son côté, il le sait aussi bien qu’elle. Malgré tout ce qu’il a du endurer pour en arriver là, pour avoir l’honneur de passer cet anneau à son doigt … Ils sont attachés l’un à l’autre, bien évidemment.
Je suppose que tu as une bonne raison. Elle acquiesce silencieusement, avant de se rendre compte qu’il ne peut pas la voir.
L’Amour. Même si elle le blesse, elle n’a pas d’autre choix. Mentir est un péché. Et peut-être se rendra-t-il compte que tout ceci est pour le mieux. Même si cela ne sera facile ni pour l’un ni pour l’autre. Thedore ferme les yeux. Les siens se baissent finalement. Cela ne l’amuse pas le moins du monde.
Je te devais la vérité. La paume de la main de l’Anglais s’abat sur la table. Jùli ne bronche pas. Cette violence n’est pas dirigée vers elle, elle le connaît suffisamment pour en être convaincue. Le silence se fait, long, douloureux. Jusqu’à ce qu’il le brise :
Il vaut mieux que tu ne sois pas là quand je l’annoncerai à mes parents. Et comment. Ils avait été profondément choqués d’apprendre ce que leur fils avait été amené à faire pour obtenir l’approbation de leurs vieux amis que de voir tout s’effondrer serait sans doute trop pour eux.
Et je m’occuperai de mes parents. Tu n’auras pas à leur parler. Je l’espère bien. La colère dans la voix de Theodore la fait tiquer. Mais elle ne dit rien. Elle comprend sa frustration, son avenir remis en question. Elle a eu le temps de faire son deuil de tous leurs projets. Lui, non. Elle ne s’approche pas.
Adieu. Je te souhaite tout le bonheur que tu mérites. Et elle n’est plus là quand la table est détruite, la bague restant intacte, le diamant brillant, insolent rappel immortel de la scène.
[...]
On frappe à la porte. Elle vient juste de rentrer de sa dernière mission. Ils partaient et elle ne voulait pas les attendre chez elle. C’est partiellement en sang et couverte de poussières diverses qu’elle ouvre. Ses yeux cherchent les visages familiers de son frère et de Xolani, mais tombent sur quelqu’un qu’elle a déjà aperçu. Une fois. De loin, qui discutait avec eux. L’expression est sans appel. Son monde bascule soudainement.
Jùli… Je suis… Je sais qui vous êtes. Oui et non. Mais elle ne veut pas le savoir. Elle ne veut pas de détails. Son corps est en train de l’abandonner, elle aurait du passer à Sainte-Mangouste mais elle avait voulu des nouvelles, d’abord. Ce qu’elle regrette amèrement. Les larmes ne montent même pas. Il n’y a que des fourmis, partout dans son corps, dans le bout de ses doigts, qui tremblent violemment contre la poignée. Mais elle restera digne, coûte que coûte.
Les corps ? Il baisse les yeux. Elle ne veut pas savoir. Vraiment pas. Sa mâchoire se crispe.
Je vais vous demander de me laisser. Il avance d’un pas, cependant. Elle recule. Il s’arrête. Sort un objet de sa poche. Il s’agit d’une simple chaîne en or.
Si vous avez un jour besoin de quoi que ce soit … Elle n’en veut pas. Elle ne tend pas la main. Il la passe à la poignée, à l’intérieur. Et disparaît. La porte se referme. Et ses jambes se dérobent sous elle. Son corps entier heurte le sol, durement. Mais elle ne sent même pas la douleur. Qui est tellement inférieure à celle qui déchire actuellement son être.
[...]
On l’a amenée à Sainte-Mangouste. Son dernier client, sans le moindre doute, venu pour la payer. Quand elle se réveille, elle fixe le plafond. En silence. Sàmuel n’est plus. Xolani n’est plus. Tous deux ont été emportés, lui ont été arrachés par la folie des hommes. Ses yeux se ferment. Ils paieront. Ils paieront tous. Le Christ a demandé à ce qu’on tende l’autre joue. Mais elle préfère appliquer la loi du Talion. Œil pour œil. Dent pour dent. Il faut juste qu’elle sorte d’ici. Généralement, ses séjours dans l’établissement sont courts, elle prend des risques extrêmement mesurés. Elle contactera cet homme. Lui demandera les détails de l’opération. Un feu nouveau s’est allumé en elle. Que rien ne saurait éteindre. Rien ?
Miss Estheràzy ? Les paupières se soulèvent pour faire face au Médicomage. Ils se sont déjà rencontrés dans des circonstances similaires. Mais jamais, au grand jamais il n’a arboré cette expression.
Depuis combien de temps êtes-vous enceinte ? Et le monde s’écroule. Une fois de plus.
that's me in the cornerJ’ai un contrat pour toi. C’est pour ça que tu m'as fait venir ? Dans ce restaurant londonien, Jùli toise un de ses anciens commanditaires, qui aimait embaucher cette Briseuse de Sorts en freelance. Cela fait cinq ans déjà qu’elle s’est arrêtée. Il n’y a pas eu d’hésitation pour elle, pas d’autre solution envisageable : elle a mené sa grossesse à terme et a élevé son fils, auquel elle a donné le nom de son défunt frère. Et si les conséquences ont été sévères sur sa vie de famille, se faisant renier par le clan, elle n’a jamais rien regretté. Même pas son ancienne carrière, même si elle lui manque parfois.
Laisse-moi au moins te parler de l’endroit. Non. Le ton est sans appel, sans équivoque. Il ouvre de nouveau la bouche et elle se penche sur la table, les doigts joints sous le menton :
On se connaît depuis des années. Je te demande de me respecter suffisamment pour ne pas me prendre pour une greluche qui changera d’idée quand tu l’auras appâter par le nom que je connais sans doute. Tu en as envie, pourtant. Oui, admet-elle sans rougir ni se troubler.
Si tu as ne serait-ce qu’un brin d’amitié pour moi, je te demanderai donc de ne pas me tenter. Il sembler peser le pour et le contre quelques instants, avant de finalement lever le doigt pour demander qu’on envoie leurs plats. Silencieusement, elle le remercie, sirotant un peu de son vin. Son fils est en de bonnes mains, elle peut maintenant profiter d’une soirée entre adultes.
[...]
Jùli ? Le chef veut te voir. L’interpelée relève les yeux vers l’origine de la voix, son collègue qui lui pointe le bureau du directeur de leur section Temps, au département des Mystères. Avec regrets, elle laisse le Retourneur de Temps dont elle s’occupe, dans l’espoir de le perfectionner et d’effectuer des sauts plus grands en arrière, voire en avant. Cela ne lui dit rien qui vaille. Remettant sa cape, elle s’en va frapper à la porte. On lui demande rapidement d’entrer. Il y a deux hommes, à l’intérieur : son supérieur, un en autre qu’elle identifie sans mal. Il s’agit de l’homologue de celui-ci, section Mort. Les épaules de la femme se tendent. Elle sait pourquoi il est là.
Miss Estherazy… Estheràzy, reprend-elle, imperturbable, mais donnant immédiatement le ton de la réunion. Ils sont tous les deux marqués et ne s’en cachent pas. Elle n’a jamais été une activiste, et ne s’en cache pas plus. Mais ils en sont après son cerveau, après ses connaissances, après sa soif de réponses. S’ils savaient qu’une voyante se trouve actuellement en face d’eux, ils l’enfermeraient sans somation. Pour l’instant, il n’en est rien. Il faut qu’elle se contrôle, qu’elle joue finement.
Estheràzy, reprend-il avec un petit sourire. Ne rien laisser paraître.
Comme vous le savez sans doute, le Ministère encourage les collaborations afin d’aider à l’étude de ceux que l’on appelle les Revenants. Elle ne bronche pas.
Vous nous avez été chaleureusement recommandée. Je vous en remercie, mais… Avant de nous donner une réponse, Jùli, nous voudrions que vous preniez le temps de réfléchir. Il n’y a pas l’ombre d’une hésitation dans l’esprit de la Hongroise. Mais les traits de son supérieur se teintant d’une lueur mauvaise ne lui disent rien qui vaille et elle préfère se taire, pour l’instant.
Nous vous offrirons évidemment de nombreux avantages en échange de votre collaboration. Pensez un peu à votre fils … Il fait mouche, et il le sait, même si elle reste de marbre.
Oh oui, comment s’appelle-t-il déjà ? Sàm ? Elle acquiesce, silencieusement. Qu’on le laisse en-dehors de ça. Mais elle ne peut pas protester, pas ouvertement. Elle se contente d’un léger signe de tête.
Nous attendons votre réponse à la fin de la semaine. Bien. Le visage fermé, elle quitte la pièce, essayant de réfréner les battements de son cœur. Il est temps. Temps d’organiser le départ de son fils. Et même si son être entier hurle à cette idée, elle sait que c’est pour le mieux.
[...]
Assise sur le tapis, au milieu de son bureau, Jùli joue avec une chaîne en or. Elle ne l’a pas jetée, des années auparavant. Peut-être par nostalgie, peut-être au cas où. Et pour la première fois, elle se pose vraiment la question de l’utiliser. Il est hors de question que Sàmuel soit en danger. Et si elle déplace son fils précipitamment, elle a peur qu’on l’en empêche. Elle a besoin d’un plan. Mais … Elle soupire. Elle ne veut pas y avoir recours. C’est trop compliqué, trop difficile d’y repenser. Même si, en voyant la tête brune qui passe par la fenêtre, elle ne peut s’empêcher de se rappeler qu’elle fait tout pour s’en rappeler. Le petit bout d’homme à la peau noisette qui lui fait face porte le nom de son frère, et ressemble a une version miniature d’un certain homme, qui n’a pourtant froissé ses draps que quelques semaines.
Tu en fais, une tête, Maman ! Elle sourit en se levant, pose le collier sur son bureau avant de refermer ses bras autour de son fils, qui se laisse faire sans broncher.
Maman a eu une longue journée. Tu vas prendre un bain ? Elle se détache de lui, pour regarder au fond de ses yeux pétillants de malice. Elle tuera plutôt que laisser qui que ce soit le menacer. Un sourire retrousse ses lèvres.
C’est une très bonne idée… Elle lui ébouriffe les cheveux et pointe le bureau avant de partir :
Tu reprends la lecture où tu en étais ? Un livre en hongrois qu’ils ont entamé la veille attend le petit, qui fait la moue pour la forme mais s’en empare alors qu’elle s’en va. Il l’ouvre, quand son regard est attiré par quelque chose de brillant. Il sait pourtant qu’il n’a pas le droit de toucher les objets étranges dans l’antre de sa mère. Mais c’est juste un collier. Alors il s’en empare et le met autour de son cou. Et reprend sa lecture. Mais, doucement, une lueur commence à en pulser, ce qui échappe totalement à l’enfant, très concentré…pour l’instant.