Live like legends (Hestia)

Les années ont forgé la réputation d’Anatoli. Le guerrier des premiers temps s’est tapi dans l’ombre, attendant - les dents longues - les prochaines gouttes de sang. L’homme amoureux des femmes, volage et sociable, est un écran de fumée savamment étudié. Tout, de ses manières polies à ses sourires charmeurs est un manière d’être. Oiseau de société, le Karkaroff ne brille jamais plus que lorsqu’il est mis face à un public. C’est ainsi que l’élite est devenu sa scène. Une sorcière à moitié plus jeune que lui pendue au bras, Anatoli valse et rigole entre les mondanités. Un clin d’oeil pour l’une, une poignée de main pour l’un. Des codes que le russe maitrise avec la perfection de l’habitude.

Le mondain ne se lasse pas de ces réceptions, moulé dans un rôle qui lui colle tant à la peau qu’au coeur. Toute la première partie de la soirée se passe de la même façon, une coupe de champagne entre les doigts de sa main droite et la paume de sa main gauche déposée sur une épaule ou sur la courbe d’une hanche. Anatoli est à l’aise, ne se pose pas de questions : tout est tracé d’avance dans ce genre d’évènements. Quelques courbettes bien placées, quelques sourires bien dirigés et le jeu est gagné. Le chef des bourreaux profite du statut apporté par sa plus récente promotion. Chef des bourreaux, l’assassin peut se targuer d’être monté en grade auprès des serpents ces dernières années. De quoi teinter les regards d’un certain respect, même chez certains sang-purs. Le sang des Karkaroff est peut être mêlé, ils n’en sont pas moins diablement fidèles au Lord, Anatoli en tête.

Le père discute quelques minutes avec Ioana, essuie ses reproches (encore une nouvelle conquête, sérieusement ?) d’un soupir agacé avant que celle-ci ne parte rejoindre quelques amies. Anatoli la regarde s’éloigner, un drôle de voile au fond des yeux. Le père et la fille ont beau ne pas savoir se parler, les liens du sang sont plus forts que toutes les tempêtes. Il le sait plus que quiconque, l’a appris avec plus de violence encore que les autres. Alors peu importe qu’ils ne sachent pas s’aimer correctement. Là n’est pas l’important. Il ne lui faut que quelques secondes pour trouver au moins trois autres groupes de Mangemorts qu’il pourrait sans problèmes rejoindre. Anatoli décide finalement de se diriger vers le bar, bien décidé à s’octroyer une nouvelle coupe de champagne avant de reprendre le jeu des mondanités. Car c’est bien là ce que cette soirée est aux yeux du sorcier : un jeu, rien qu’un jeu, rien de plus.

C’est au détour du bar que le serpent reconnaît la silhouette d’Hestia Selwyn. D’un geste lent et assuré, le Karkaroff se charge d’une coupe supplémentaire, se frayant un chemin sur les quelques mètres les séparant. Avec un sourire charmeur (on ne change pas les bonnes habitudes), le Mangemort lui tend l’un des verres. « Hestia. » Sa tête s’incline très légèrement sur la droite, comme toujours lorsque la conversation promet d’être intéressante. Anatoli n’en reste pas moins observateur, vieille habitude héritée du champ de bataille où chaque détail a son importance. La jeune sorcière a l’air d’être ici seule. « Tu es venue accompagnée ? » Demande t’il poliment et par pure curiosité, le mot chantant. Le chercheur a cette capacité de feindre l’intérêt en un clignement des paupières : ce n’est pas le cas avec la Selwyn. Elle est intéressante. Prometteuse.

Les yeux du sorcier balaie la foule, ne s’arrêtant que ci et là sur les contours connus de l’un ou l’autre dignitaire. « Tout le monde semble s’être donné rendez-vous ici. » Souffle t’il dans un léger rire. La salle du musée est en effet remplie du tout Londres, l’élite se reconnaissant aisément entre elle. Il y a un certain port de tête, une certaine attitude, qui trahit ceux ayant l’habitude ce genre de soirée. Anatoli en fait partie. Hestia aussi, peut être bien malgré elle. Là est le lot des enfants de grandes familles, baladés de scène en scène pour représenter leur famille et les intérêts de celle-ci. Le Karkaroff tient son rôle à la perfection. De toutes les personnes présentes ici, Hestia est probablement la seule à percevoir la différence entre ses sourires, à pouvoir démêler les politesses de ses mensonges. Là est probablement l’une des raisons ayant poussé Anatoli à la prendre sous son aile il y a peu : tant qu’à ne pas pouvoir lui mentir, autant la garder à ses côtés.

Ces soirées ont beau toutes être les mêmes, Anatoli continue de les apprécier à leur juste valeur : contrairement à Hestia, le Karkaroff se doit de constamment prouver sa valeur. Et le chef des bourreaux a vite compris que, dans une société régie par le paraître, les décisions importantes se prennent aussi bien derrière des portes closes qu’une coupe de champagne à la main. Se prouver auprès du Lord est une chose, gagner le respect des Mangemorts en est une autre. Anatoli s’est attaqué aux deux de front : de son mérite à ses sourires, il s’est prouvé aussi bien par la baguette que par les mots. Le tout dans un seul et unique but : enfin - enfin ! - gagner le respect des siens. Anatoli veut s’hisser dans les plus hauts confins de la société pour qu’enfin on le détache de son imposture. Les Karkaroff n’ont jamais pu se reposer sur leur nom ou sur leur sang. Tout leur reste à prouver en Angleterre et le sorcier s’attèle à mener sa pierre à l’édifice.

« En effet, on dirait bien. » Rigole Anatoli du bout des lèvres. L’empathie d’Hestia a un jour mis Anatoli mal à l’aise : lui qui a tant de choses à cacher n’apprécie guère que l’on lise ses émotions comme un livre ouvert. La présence de la Selwyn se relève finalement bien moins intimidante que prévu. En effet, une fois débarrassé de ses artifices, il ne reste plus à Anatoli qu’à profiter de la discussion. Le Karkaroff a cessé de s’inquiéter de ses secrets au moment où il a compris que ses émotions n’y étaient pas directement connectées. Tout au plus, la potionniste décèle ses mensonges, vois mieux que personne au travers de ses faux sourires. La perspective a presque quelque chose de rafraîchissant aux yeux d’Anatoli. « Tu sembles être également venu en bonne compagnie. » Une nouvelle gorgée de champagne assortie d’un clin d’oeil plus tard, voilà que le Russe balaie la pièce des yeux, cherchant ses cavalières du regard. « Je ne manque jamais l’occasion de passer une bonne soirée. »

La sorcière au sang bleu reprend la parole et un léger sourire vient flotter sur les lèvres d’Anatoli. Ce dernier reprend la parole, légèrement amusé. La langue claque, plus joueuse que réprimande. « Voyons Hestia - commence le sorcier dans un souffle rieur - tes parent ne t’ont-ils pas appris que c’est ici que tout se joue ? » L’ironie est scellé d’une nouvelle gorgée de champagne alors que le Karkaroff se joue des conventions : l’importance de ces soirées a très probablement été rabâchée aux oreilles d’Hestia de longues années durant. Anatoli n’a peut être pas le sang-pur mais il a élevé Ioana dans les mêmes idéaux et avec les mêmes objectifs. Le Karkaroff a pavé le chemin de sa fille de diamants.

Le langue-de-plomb change de sujet avec aisance, n’a pas à feindre l’intérêt pour orienter la conversation sur le business familial des Selwyn. « Comment se portent tes parents, la boutique ? » Le ton est poli, neutre. Ses intentions le sont un peu moins, déguisées sous une curiosité en apparence tout à fait innocente : l’une des clés de l’ascension d’Anatoli parmi les serpents est l’attention qu’il porte systématiquement aux détails. Pendant qu’il rigole, pendant qu’il tourne et laisse ses doigts s’attarder sur une épaule ou un bras nus : le Karkaroff écoute attentivement. Et s’il n’a pas besoin de jouer tout ces jeux avec Hestia, il n’en reste pas moins fin stratège.