Over and over (Weasley's Squad)

Quand elle était avec les siens, Ruby était différente. C’était imperceptible pour qui ne la connaissait pas par cœur, mais à qui savait la lire, le changement était clair : il y avait une lueur d’intérêt profond au fond de ses yeux pourtant aussi joueurs en apparence que d’ordinaire. Il y avait des regards appuyés, des gestes calculés, des étreintes passagères qui voulaient pourtant tout dire. Parce qu’au sein de sa tribu, même si elle était toujours la même, rebelle, flamboyante, malicieuse et bruyante, la belle se faisait oreille attentive sous ses airs de ne pas y toucher. Et, même si elle avait accueilli l’idée d’une énième beuverie en rousse compagnie avec son entrain habituel, elle avait évidemment noté la tête que faisait Layla, même si elle prenait sur elle. Et en attendant Susan, elle se faisait un devoir de veiller sur la plus jeune. Le moment venu, elle lui passerait le relais et pourrait se contenter d’être parfaitement insouciante. En attendant, elle guettait le moindre signe de faiblesse, remplissait les verres de Layla et continuait à rire … et elle n’avait pas vraiment besoin de se forcer. Elle s’étouffa dans son verre en se souvenant de la scène, à Poudlard, où Jonah s’était pris la colère et le café d’une étudiante en public. D’un hochement de tête appréciateur, elle ne put qu’approuver ce qu’il disait, après tout, si la donzelle n’avait pas prévenu … Je bois à ça. Toute personne fricotant avec un Weasley doit savoir à quoi s’attendre. Comme pour appuyer ses propos, elle envoya un clin d’œil aguicheur à un des serveurs qui passait à côté, riant alors qu’il manquait de se prendre un de ses collègues. Classique Ruby.

S’humectant les lèvres, elle suivit silencieusement les explications hautes en couleur de Jonah, qui a-dorait raconter cette histoire … ainsi que d’autres. On aurait pu croire qu’ils les connaissaient par cœur, mais de temps en temps il leur arrivait encore d’en découvrir, et si pas tous, au moins l’un d’entre eux. Et elle savait où ils voulaient en venir et quelle histoire on lui réclamait. Et elle s’exécuta, sans se faire prier, lâchant dans un long soupir rêveur : Ah, les premières fois … on ne peut jamais prédire ce que cela donnera. Et ce n’était pas complètement joué, en plus. La sienne avait été particulièrement épique. Mais le fait qu’ils connaissaient tous très bien son partenaire lui faisait garder certains détails scabreux pour elle … mais pas tous : Vous pouvez par exemple essayer d’aller aider un très bon ami à terminer l’inventaire de la boutique de son père pour qu’il soit libéré pour la soirée d’Halloween qui a lieu ce soir-là. Elle se revoyait encore passer la porte de la réserve, son costume scandaleusement provoquant sur le dos pour assister à la soirée donnée à Pré-au-Lard et … Bref, je ne vais pas vous faire un dessin. Une chose en entraînant une autre, comme elle disait si bien en éludant certaines questions d’un geste de la main… Jaime et elle, c’était à la fois du domaine public et privé. Esquissant un petit sourire en coin, elle porta son verre à ses lèvres : Disons simplement que les premiers essais des Fizwizbiz ont donné un tout autre sens à l’expression « s’envoyer en l’air » … et qu'il est heureux que certains bonbons n'aient jamais vu le jour. Fort heureusement, il n’y avait pas eu de dégâts, mais cette première expérience avait été particulièrement … intéressante. Et intense. Et délicieuse. Ce qui faisait qu’ils ne pouvaient s’empêcher de recommencer encore et encore, depuis plus de dix ans. Mais ce n’était ni le lieu, ni l’endroit pour y penser. Avalant une longue gorgée de son whisky pur feu, elle éclata de rire et finit par lever une main : Et il me faudra beaucoup plus d’alcool pour vous en dire plus … d’ailleurs, quelqu’un sait quand Susan arrive ? Je crois qu’elle a toujours réussi à éviter de nous raconter la sienne, et je pense qu’il est temps, il doit y avoir plus que prescription, maintenant ! Qu’on continue, qu’on enchaîne, sur du léger. Tout pour continuer à faire sourire Layla. Et si possible, en ne mentionnant plus Jaime, pour qu’elle évite de trop y penser.

Un tour de clé suffit à mettre un terme à la mascarade commerçante dont elle se jouait depuis la matinée, laissant traîner sourires et poignées de main aux clients reconnaissants et heureux de leur passage dans la boutique familiale, qui chaque jour gagnait en notoriété. Elle soupirait, l'aînée Weasley, à la fois éreintée et libérée de cette journée qui ne semblait en vouloir en finir, tenant à la garder prisonnière à jamais de l'échoppe, comme pour lui rappeler une énième fois que son indépendance n'était qu'une douce illusion, qu'une porte qui lui serait à jamais condamné de par la position qu'elle hérita lors de sa naissance. Ils avaient tous grandi, les cadets, mais plus elle vieillissait, plus le poids de la responsabilité familiale alourdissait ses frêles épaules; et si elle n'arrivait pas à en vouloir, ni à ses parents, ni à ses frères et sœurs, c'est que le destin devenait pour une fois sa meilleure excuse. Malgré tout, elle les aimait plus que tout, ces petits êtres roux qui avaient vu le jour après elle, ces trois énergumènes qui avaient peuplé son enfance de rires, de pleurs et parfois de colère, de joie, de réconfort mais aussi d'angoisse. Ces deux sœurs et ce frère qui formaient, avec elle, une fratrie que certains enviaient, que beaucoup jalousaient et que tant d'autres méprisaient...
Remontant contre son visage le col de son manteau, elle finissait par fourrer ses mains dans ses poches et s'avancer de quelques pas avant de visualiser dans son esprit l'entrée du Chaudron Baveur. Et tandis que les quelques mèches encadrant son visage reflétaient les derniers rayons d'un soleil couchant rougeoyant, elle s'évapora dans un souffle, transplanant vers ceux qui l'attendaient déjà, sûrement.  

Ombre furtive se dessinant, elle réapparut devant la lourde porte de bois derrière laquelle s'élevaient des éclats de voix et des bruits de verres s'entrechoquant; destination finale de cette journée, plaisir de revoir les visages fraternels, d'écouter les discussions légères et de rire, encore et encore, jusqu'à ce que l'hilarité se fonde avec l'ivresse. Elle aimait ça, Susan, assister à ces moments de retrouvailles avec ses benjamins durant lesquels vous n'aviez plus de barrières, plus de frontières, où l'euphorie d'être ensemble faisait rougir vos joues autant que l'alcool. Poussant le battant, l'ombre de la Mort ôtait son manteau dans l'indifférence la plus totale et le rangeait dans son sac où il y glissa avec une facilité déconcertante, comme avalé par la sacoche; et intérieurement, la jeune femme se félicitait d'avoir retenu la formule du sortilège d'extension depuis toutes ses années. Un demi sourire étirant ses lèvres auréolées d'une couche carminée, elle venait de repérer, à la voix surtout, la table où ils avaient prit place. Leurs chevelures brûlante d'une couleur fauve n'étaient en rien un indice palpable qui la faisait se rattacher au petit attroupement qu'ils formaient et que la première-née s'apprêtait à rejoindre, lorsqu'elle entendit son prénom s'insinuer dans la conversation. “ D’ailleurs, quelqu’un sait quand Susan arrive ? Je crois qu’elle a toujours réussi à éviter de nous raconter la sienne, et je pense qu’il est temps, il doit y avoir plus que prescription, maintenant. ” Haussant un sourcil, elle se rapprocha avec toute la discrétion dont elle était capable, sur la pointe des pieds; puis surgit derrière Layla, entourant ses épaules de ses bras frêles jusqu'à coller sa joue à la sienne et de lâcher un ronronnement sonore qui en faisait vibrer leurs poitrines à l'unisson. “ Prescription à quel sujet ? Tu ne dis pas ça en parlant de mon grand âge avancé ? Hein petite sœur. ” Et elle rit, doucement, lançant un regard implicite à la jeune femme se tenant devant elle. Relâchant sa prise autour de Layla, elle passa derrière Jonah en lui ébouriffant les cheveux et attrapant une chaise à la volée, elle s'installa entre eux, refermant ainsi le cercle de leur famille. Un serveur passa près d'elle, lui frôlant le bras, lui lançant un regard questionneur et d'un petit sourire en coin, elle lui répondit tacitement; il inclina la tête et s'empressa de plonger derrière le bar afin de préparer sa boisson habituelle. “ Bon alors, qu'est-ce que j'ai loupé ! Vous n'étiez pas entrain de parler de ma date de péremption quand même ? ” Les mots étaient crus, claquants, mais pas médisants; elle savait qu'ils comprendraient et que, sûrement, ils riraient eux aussi. Le serveur déposa devant Susan une choppe dans laquelle un liquide doré pétillant était entrain de danser sous la course fine et délicate de bulles. L'odeur sucrée de la bièraubeurre vint caresser ses narines et, n'y tenant plus, elle attrapa l'épaisse pinte et la leva devant ses yeux. “ A la votre les Weasley !!! ” Coulant dans sa gorge, la jeune femme descendit quelques lampées de breuvage avant de reposer son regard sur les visages rayonnants de Ruby et Jonah; et si elle avait noté le voile morne obscurcissant les prunelles de Layla; elle préféra n'en dire mot, se contentant de suivre le mouvement de cette soirée qui ne faisait que commencer.